Aimer le pécheur/la pécheresse, mais pas le péché ? (Jürgen Grauling)

11/05/2015 20:12

 

De la bénédiction sur les couples de même sexe … et en général

Cher M, je t’écris à toi, parce que j’ai apprécié avec quel soin tu as pesé tes mots dans ton courrier des lecteurs dans le dernier NM.

Dire du bien et distinguer la personne des actes qu’elle pose

Tu y livres ta compréhension de la bénédiction qui se dit à la fin de chaque culte, sans distinction de la personne, sur tous et sur toutes. Elle est bien souvent prononcée sur des personnes qui, tout comme toi et moi, peuvent se sentir momentanément éloignées de Dieu et de leurs prochains. Le bien-dit divin signifie alors que la situation de crise est appelée à évoluer vers une amélioration progressive. Jésus nous appelle même à bénir nos ennemis …

Tu as certainement raison : il faut distinguer la personne des actes qu’elle pose. Dire du bien (premier sens du mot bene dicere, bénir) sur/à quelqu’un ne signifie pas approuver tout ce qu’il fait, c’est bien souvent l’envoyer sur un chemin de « guérison » et de « sanctification ». Dans nos cultes, nous disons au tout-venant : « Venez comme vous êtes ! », mais nous l’y invitons à une rencontre (avec le Tout-Autre et avec le prochain) qui ne manquera pas de le bouleverser et de le mener à un changement. Quand nous sommes touchés par la grâce de Dieu, nous ne saurions rester indifférents et cela aura des conséquences inouïes !

Bénédiction sans chantage

Un certain nombre de ces chrétiens, pourtant, aimerait définir d’avance quels seraient ces changements et établissent un modèle de vie chrétienne vers lequel tendre.</p><p>A mon sens, cette manière d’envisager la « sanctification » contraint le croyant, fait accompagner la bénédiction d’un chantage (« si tu veux vraiment être chrétien, alors tu feras ceci et cela … ») et fait fi de l’appel personnel et progressif que la grâce de Dieu adressera à chacune et chacun, dans une grande diversité des charismes que nous ne pouvons pas définir d’avance. La seule certitude qui réunit ces charismes, c’est qu’ils amènent un plus grand amour dans l’altérité (Agapè) de Dieu et du prochain ! (Peut-être nous devrions-nous interroger plus souvent pour savoir quel est l’appel que Dieu nous adresse, pour que la semence de la Parole ne tombe pas sur un sol infertile …)</p><p>Ne pas préjuger des changements opérés par la Parole de Dieu, c’est cela aussi l’accueil inconditionnel. C’est ainsi que Jésus a rencontré les hommes et femmes de son temps, qu’il a mangé avec de pauvres bougres et de riches pharisiens.</p><p>Luc 19 : Zachée – chez qui le « salut est entré aujourd’hui » – ne promet nullement de cesser son activité de collecteur d’impôt, mais de l’exercer différemment. C’est d’ailleurs ce que Jean-Baptiste conseille aux péagers et aux militaires (Luc 3/13s). Régulièrement, Jésus s’insurge contre la « bonne conduite » prônée par les pharisiens et clame que le sabbat est fait pour les hommes et non l’inverse. La seule règle qui vaille est le double commandement d’Amour.

Le grand hold-up herméneutique

Mais, me rétorquera-t-on, Jésus a bien dit à la femme adultère : « Va, et ne pèche plus ! » (Jean 8/11) Sous-entendu : « Vous voyez bien que Jésus donne quelque part raison aux lapidateurs. Il ne veut pas qu’elle soit lapidée, mais condamne tout de même l’adultère et sa vie dissolue ! » L’idée est qu’il y a tout de même des comportements et des actes qui sont répréhensibles en tant que tels : le meurtre, l’adultère, le vol, … la pratique de l’homosexualité.

Pour moi, il s’agit là du plus grand hold-up herméneutique de l’histoire chrétienne, une manière de faire rentrer par la porte de service le pharisaïsme chassé de l’entrée principale. C’est l’interprétation avancée par le grand frère qui voudrait être reconnu par le Père dans sa supériorité et qui ne supporte pas l’insolente liberté d’enfant de Dieu de son frère cadet qui a enfin (re?)trouvé l’immense amour de son père (Luc 15/11-32).

« Va, et ne pèche plus ! » n’est pas une exhortation morale, mais une parole de bénédiction qui envoie la jeune femme sur le chemin de la rencontre avec Dieu, et du coup vers une autre relation avec ses prochains. Sans doute aspirera-t-elle ensuite à autre chose que la prostitution, mais là n’est pas l’intérêt premier de Jésus. Sa question n’est pas à mon avis : « Quel est ton acte ? », mais : « Quelle est ta relation ? »

Relire la loi à l’aune du double-commandement de l’amour

Ainsi toute la loi, celle du Premier comme celle du Second Testament, est à lire à l’aune de ce double-commandement d’amour de Dieu et du prochain. Il ne suffit donc pas de repérer la constance de condamnation dans l’Ancien et le Nouveau Testament, mais il faudrait encore faire une évaluation de ces condamnations au regard de l’Agapè.</p><p>Reprenons ma petite liste des « vices » de tout à l’heure :

L’homicide : cela paraît comme le mal absolu, et le Christ nous invite à aimer même les ennemis. Pourtant, de tout âge, on s’est posé la question s’il était juste de tuer un tyran, au nom même de la protection du plus faible … Bonhoeffer s’est engagé dans cette voie-là au nom-même de sa foi chrétienne.

L’adultère : quand le mariage devient une prison dans laquelle s’exprime unilatéralement la domination de l’un sur l’autre, quand l’alliance devient aliénation, le divorce et le remariage ne sont-ils pas le moindre mal ? Pourtant des paroles mises dans la bouche du Christ lui-même semblent dire le contraire.</p><p>Le vol : la théologie de la libération dénonçait les grands propriétaires terriens. Quand la possession est au-delà de toute justice, quand il s’agit de voler pour survivre et faire vivre sa famille, le vol ne devient-il pas, dans certaines circonstances, la plus essentielle des charités ?

On pourrait parler de la ruse et du mensonge dans l’Ancien Testament qui devient la force des faibles etc.

>La ligne de partage est floue, et avec ces considérations on ne pourrait pas construire un code civil. La distinction entre le bien et le mal héritée de l’arbre de la connaissance ne nous est pas utile, et c’est pour cela que le Christ nous exhorte à laisser de côté tout esprit de jugement et de condamnation. Il s’agit plutôt de discernement : « Quelle est ta relation ? Où est l’Agapè ? » Et là, le péché ne consiste pas en tel ou tel acte précis et répréhensible, mais en une relation inexistante ou insuffisante au Tout-Autre et/ou à l’autre. C’est celle-ci qui se traduit alors par des actes précis.

L’homosexualité

En ce qui concerne l’homosexualité : il ne suffit pas de trouver des textes apparemment unanimes dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Ils sont soumis aux préjugés et contextes de leur époque. Paul, d’ailleurs, ne fait pas une étude détaillée sur le fait homosexuel, mais se contente de citer ces pratiques parmi d’autres témoignant de la dissolution des mœurs suite à une vie sans Dieu dans le monde païen. Je ne lui reproche pas de ne pas avoir accordé une attention plus grande aux personnes LGBT, c’était un phénomène marginal et les études scientifiques n’existaient pas. Pour cela, je ne ferai pas du jugement paulinien énoncé par ignorance, un jugement dernier. Je me poserai plutôt la question : « Quelle est ta relation ? Où est l’Agapè ? »

Aimer le pécheur, mais pas le péché ?

La phrase qu’on entend souvent dans la bouche des opposants à la bénédiction des couples de même sexe est celle-ci : « Il faut aimer le pécheur, mais pas le péché ! » Elle est d’une violence inouïe, car elle nie ce qui fait intrinsèquement partie des personnes homosexuelles : l’orientation affective, l’attirance vers la personne du même sexe. Si on leur dit qu’elles ne pourront jamais vivre en couple avec un partenaire du même sexe sans être dans le « péché » (c'est-à-dire en rupture avec Dieu) et que l’on dit mal (maudit) cette possibilité, on leur prescrit la sanctification qu’on attend d’eux : l’abstinence ou se forcer à épouser un partenaire du sexe opposé. Bien souvent, cela signifie aussi qu’on les exclue d’office de nos communautés chrétiennes, parce qu’elles ne pourraient être considérées que comme des croyants de seconde zone.

Bénir des couples : les envoyer sur le chemin de l’alter-égal-ité</p><p>Or, qu’est-ce qui nous permet de juger que l’amour que se portent un homme et un homme ou une femme et une femme est qualitativement différent de celui régnant dans un couple hétérosexuel ? Qu’est-ce qui nous permet de préjuger que l’amour homosexuel ne serait tourné que vers lui-même et ne saurait s’ouvrir à la différence qu’apporte l’autre partenaire ? L’amour narcissique existe autant dans l’homo- que dans l’hétérosexualité.

Le défi posé à tous les couples, de sexe opposé ou de même sexe, est de vivre l’alter-égal-ité (ou l’égalterité), c'est-à-dire de respecter l’autre dans sa différence tout en l’aimant, et de vivre ainsi partiellement, symboliquement, exemplairement cette altérité qui nous relie au Tout-Autre. Bénir un couple, c’est l’envoyer sur le chemin de la rencontre : rencontre avec le partenaire, et ensemble à la rencontre avec Dieu. Ni plus, ni moins. Qu’est-ce qui nous l’interdit en ce qui concerne les couples de même sexe ?

Arrêtons de graduer le péché ! Arrêtons de vouloir définir le péché autrement que comme une relation défaillante à l’autre et à l’Autre ! Aimons la personne, à la fois pécheresse et justifiée, et envoyons-la à la rencontre avec le Tout-Autre !

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