L'anthropologie de la grâce vs l'anthropologie de l'antiquité (Jürgen Grauling)

11/05/2015 16:49

Cet article reproduit un commentaire fait sur un post de la page "UEPAL en débat". Jürgen Grauling est pasteur à Sélestat.

 

Bible : condamnation sans appel ?!

 Le lecteur assidu de la Bible cherchant à savoir comment aborder la question de l'homosexualité, tombera forcément sur les "textes de terreur", tous cités dans le document préparatoire. Entre "Sodome et Gomorrhe" (classiquement mais par erreur interprété comme un texte traitant d'homosexualité, alors qu'il y est question du mépris de l'hospitalité), "l'abomination" des relations homosexuelles masculines selon Lévitique et les catalogues de vices des épîtres de Paul, difficile de prime abord de ne pas condamner l'homosexualité. Le fait que Jésus ne mentionne pas l'homosexualité, que ces textes sont somme toute rares, qu'il n'y est pas question de relations affectives stables, mais de l'acte sexuel ne peut être qu'une piètre consolation. Soyons nets : la condamnation exprimée par ces textes du Premier comme du Nouveau Testament semblent sans appel. Comme si cela ne suffisait pas, la situation se complique encore un peu plus pour l'amateur biblique : les récits de création (Genèse 1 et 2) relatent par deux fois la fabrication divine de l'être humain en tant que couple de mâle et femelle, Adam et Eve. N'est-ce pas la preuve que le couple hétérosexuel est instauré comme une institution divine ? Même le document préparatoire se laisse aller pour parler d'une "anthropologie biblique" sous-jacente. Ces réflexions préalables m'amènent à dire que je comprends profondément le désarroi des membres d'Eglise qui se voient aujourd'hui proposer de réfléchir sur une éventuelle bénédiction des couples de même sexe. Comment nous, protestants pour qui les Ecritures sont prépondérantes, pouvons-nous seulement envisager la chose ??                                                                                    

Jésus déjà se met à interpréter les textes bibliques ...

 Dès le temps de la Réforme, les interprètes de la Bible, Luther le premier, ont considéré qu'il ne faut en retenir que ce qui "sert le Christ", c'est à dire ce qui ce qui permet de saisir mieux l'œuvre salutaire de la Croix et donc de la Grâce divine. D'ailleurs le Nouveau Testament et Jésus eux-mêmes sont les premiers à réinterpréter les règlements de la Tora, à abolir commandements alimentaires, loi du talion et autres obligations de circoncision. Le Christ dira que l'amour absolu envers Dieu et l'amour égalitaire vis-à-vis du prochain résumait, voire remplaçait tous les autres commandements. Quelle était donc la raison d'être des autres commandements ? Ils s'expliquent par les circonstances historiques et culturelles de l'époque où ils ont été édictés. Parfois, ils constituent une "étape civilisatrice" sur le chemin de la "révélation parfaite" de la volonté divine : comme la loi du Talion (œil pour œil, dent pour dent) limitant drastiquement le droit de vengeance jusqu'à l'abolition totale de la vengeance et la préconisation de l'amour des ennemis par le Nazaréen ...                                                                               

Gare à une lecture trop rapide

 Ainsi, le corpus biblique traîne moult traits particuliers et règlements mosaïques apparemment divins que nous laissons allègrement de côté (à raison), parce que nous considérons qu'ils relèvent de faits culturels liés au Proche et Moyen Orient antique, ne concernant en rien notre vie moderne ni la volonté de Dieu pour nous. Ainsi, la Bible est effectivement traversée par un modèle humain, conjugal et familial particulier, mais il reflète d'abord la mentalité antique du Proche Orient. Prenons Genèse 1 et 2 : vous y lisez la création d'un couple égalitaire homme/femme ? Replacez les textes dans leur contexte, et vous verrez qu'il n'en est rien. Genèse 1 : Dieu dit : Faisons les hommes à notre image et à notre ressemblance. Et il fit l'humain mâle et femelle. Mettez à côté les trouvailles archéologiques de sanctuaires présentant YHVH et sa Achéra (une déesse, conjointe de YHVH) et vous comprendrez qu'il y a un arrière-fond polythéiste et très inégalitaire dans ce texte. Genèse 2 : La femme qui procède du côté de HaAdam (=l'humain) et qui n'est ensuite que traitée d'acolyte bat aussi notre lecture égalitaire innocente en brèche.                                                                                     

Peut-on parler d'"anthropologie biblique sous-jacente" ?

 Ainsi de bout en bout, les textes bibliques prônent dans leur grand ensemble une famille construite autour du père de famille pour assurer sa descendance, un modèle patriarcal classique. Lui est quasi-propriétaire de sa femme (10ème commandement : tu ne convoiteras pas la femme de ton voisin, ni sa maison, ne ce qui lui appartient ... l'épouse mise en parallèle avec la propriété), lui peut avoir plusieurs femmes et concubines, lui seul peut répudier notamment la femme qui ne lui donne pas d'enfant, sa veuve lui procréera un enfant en se mariant avec son frère (lévirat) etc. Bien sûr que l'homosexualité ferait désordre dans cette vision patriarcale ! Est-ce vraiment cela que le document préparatoire appelle une "anthropologie biblique sous-jacente" ? Mais n'est-elle pas à mettre au compte de la culture d'une époque qui n'est plus applicable pour nous ? D'autant plus, que les sciences humaines et médicales ne nous fournissent aujourd'hui plus aucun prétexte à maintenir les anciens préjugés des temps bibliques !                                                                                     

Anthropologie de la Grâce

 La seule anthropologie biblique qui vaille est celle qui redonne à l'être humain sa place de créature devant Dieu et de co-créature avec son prochain. L'anthropologie biblique est une anthropologie de la Grâce qui fait que l'humain, parce qu'aimé de Dieu, se repent de son orgueil en retrouvant l'amour envers Dieu de toute sa force, de tout son cœur, de tout son être, puis se met aimer son prochain comme lui-même, comme son alter ego, profondément différent mais de même valeur, et non plus comme sa propriété ou son faire-valoir. J'aime bien appeler cette relation "alterégalité" ou "égalterité". Elle est le défi de toute relation humaine, elle est le défi particulier de la vie de couple, de toute vie de couple, de même sexe ou de sexe opposé, car l'altérité ne se résume de loin pas à la différence sexuée.                                                                                     

Envoyer les couples sur la route de l'alter-égalité

 Quand nous bénissons des couples s'engageant dans la durée, l'entraide et l'attention mutuelle, ce n'est pas parce qu'ils correspondraient à un modèle sacré, mais c'est pour les envoyer sur ce chemin de l'alterégalité sous le regard de Dieu. En cela, couples de même sexe ou couples de sexe opposé sont à la même enseigne et au même bénéfice de la bénédiction divine.


 

 

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