Le document préparatoire UEPAL laisse une insatisfaction en moi (Jean Schwach)

11/05/2015 16:51

Mes réactions après la lecture du « Document Préparatoire », mes réflexions plus générales concernant la question de la bénédiction de couples de même sexe, un témoignage.

 Manque de souffle

Comme m’a dit un pasteur retraité qui venait de le lire, c’est un bon document, équilibré qui défend honnêtement les deux positions.

Oui, c’est vrai. Il se situe parfaitement dans la ligné de la tradition protestante, faisant référence fréquemment à la Bible, mais aussi à la tradition des Réformateurs et de certains théologiens venus au cours des siècles.

Néanmoins, il laisse une réelle insatisfaction au fond de moi.

De manière générale, il me manque du « Souffle ». Je ne trouve ce souffle ni dans l’une, ni dans l’autre position qu’il présente. La Parole de Dieu est une Parole Vivante, qui doit rejoindre l’homme et ses préoccupations dans sa vie concrète et qui doit l’ouvrir, l’élargir, lui ouvrir des horizons nouveaux, le rapprocher de Dieu.

 

 Les textes mentionnant l'homosexualité dans la Bible

Au sujet de la Bible, fallait-il, comme le document l’a fait, reprendre tous les passages où il est fait mention de l’homosexualité ?  Car mis bout à bout, avec les interprétations qui sont données, on ne peut que condamner l’homosexualité. Ce travail exégétique a déjà été tellement de fois présenté ailleurs, et de le reprendre ici, c’est reposer la question de l’acceptation des personnes homosexuelles dans l’Eglise, alors que je croyais qu’il avait été dit clairement qu’elles étaient acceptées inconditionnellement. Ma toute première réaction en terminant la lecture de ce chapitre a été, si c’est cela qu’affirme mon Eglise, je dois sans doute la quitter, je n’y ai plus ma place. Et, même, puis-je encore être chrétien ?

D’entrée de jeu j’ai trouvé cette analyse très négative vis-à-vis des homosexuels, même si elle en atténue ici ou là les contours.

Heureusement, que mes notions de théologie et d’exégèse, me permettent de faire face à ces réactions épidermiques et de replacer ces textes bibliques dans leur contexte. Pour ne pas me sentir condamné par eux, car en fait, je ne me sens pas concerné par eux. Comme il est dit dans le document, le thème de l’homosexualité dans la Bible n’est pas un thème en soi. Il en est surtout parlé dans un contexte de violence ou d’idolâtrie. A part le cas de David et Jonathan (si on admet une dimension homosexuelle à cette relation), il n’est jamais question d’une relation d’amour réciproque, d’une relation respectueuse, libre et consentante entre deux adultes. Il n’est pas question dans ces textes d’une relation engagée dans la durée et dans la confiance. Alors, pourquoi toujours à nouveau brandir ces textes là ? Cela devient insupportable à la longue. Brandir ces textes vis-à-vis d’un amour entre deux personnes de même sexe est juste une incompétence totale.

 

L'Evangile plutôt que des versets

Par ailleurs, ne faut-il pas prendre la Bible dans son ensemble et chercher à discerner le sens général de l’Evangile plutôt que de couper les cheveux en 4 ? Le Christ ne s’est pas exprimé sur la question des homosexuels. Peut-on imaginer qu’il n’y en avait pas autour de lui, qu’il n’a pas été au moins une fois confronté en direct à un gay de l’époque ? Et s’il n’en a pas parlé, n’est-ce pas une indication possible que cette question ne l’intéresse pas en elle-même, que cette question n’a aucune importance en soi.  Et à partir de paroles fortes que nous avons de lui, du genre « les ivrognes et les prostituées devancerons les bien-pensants religieux, dans le Royaume de Dieu », ne peut-on pas aussi lire et analyser le sens de telle affirmation pour nous aujourd’hui, et en particulier dans le contexte de personnes exclues comme le sont encore les homosexuels ?

Il y a dans les Evangiles, tant de paroles du Christ qui ouvrent, qui cassent les préjugés, qui brisent les mauvaises compréhensions et interprétations, qui laissent perplexes tant de pharisiens qui croyaient être les gardiens de la foi et de l’éthique, et même les disciples ont souvent été désorientés. Pourquoi ces textes là ne sont-ils jamais mentionnés dans les documents ecclésiaux qui parlent de l’homosexualité ?

Je trouverai beaucoup plus juste et stimulant de partir des textes qui montrent les attitudes de Jésus par rapport aux personnes qui dérangeaient à l’époque (l’homosexualité dérange encore et encore tant de personnes aujourd’hui…) : sa relation aux païens qui venaient à lui pour demander des guérisons, aux femmes, aux samaritains (ces exclus du judaïsme) mais aussi aux ivrognes et prostituées, sans oublier la place nouvelle qu’il donne aux enfants !

C’est ainsi que je me sentirai concerné par une parole Evangélique !

Mais si on utilise les textes (de l’AT et de Paul) comme le fait le en partie le document, et 9 fois sur 10 on les retrouve dans tous les Documents de référence, alors il faut être cohérent jusqu’au bout et être rigoriste jusqu’au bout en condamnant le divorce, le non respect du sabbat (que signifie-t-il encore aujourd’hui concrètement en lien avec le commandement de Dieu ?), l’idolâtrie (qui prend des formes infiniment variées dans nos sociétés)  le mensonge, l’hypocrisie, la cupidité, les femmes qui prennent la parole dans les assemblées et qui ne sont pas voilées, etc.… Certaines communautés de type Evangélique s’y emploient, mais y arrivent-elles vraiment ?  Et si nous le faisions en UEPAL, qui pourrait prétendre être « pur » ?

Donc, je crois que nous sommes sur une fausse piste et il faudrait une bonne fois pour toute le dire clairement.

 

 Quelle "symbolique" ?

Me vient ensuite l’argument toujours et encore mis en avant : le symbolique ! Le texte en parle à nombreuses reprises : «la fonction symbolique », « l’Eglise a une fonction symbolique ». Que met-on derrière ces termes ? Pourquoi introduire un terme de psychologie ou psychanalyse dans la discussion ? Que signifie-t-il ? J’ai trop le sentiment que c’est un argument qu’on met en avant car il arrange ses auteurs tout simplement. Au nom de la sacro-sainte « fonction symbolique », on réfute, condamne, rejette, sans tenir compte du réel, de la personne, du vécu. Je ne vois pas là l’attitude du Christ dans les Evangiles, mais plutôt celle des docteurs de loi !  Ne faudrait-il pas laisser à la psychanalyse ce qui est à la psychanalyse et à l’Evangile ce qui est à l’Evangile ? Et surtout, ce qui est tout à fait déplorable, de  s’aventurer à « jouer » au psy, sans en avoir la moindre autorité.

Finalement, y a-t-il un autre symbole que le Christ lui-même ?

Que veux dire « accueil inconditionnel des personnes homosexuelles dans l’Eglise » si on refuse aux (très rares) couples qui risquent de le demander, une bénédiction ? Accueillir sans donner les mêmes droits, de quel accueil s’agit-il ? Cela revient davantage à tolérer dans le sens étroit du terme, « supporter chez autrui ce que l’on n’approuve pas ».

 

La Bénédiction.

Dans l’absolu, je me demande pourquoi la bénédiction de deux personnes pose-t-elle tellement de questions et de résistances, voire de rejet. Le document, bien qu’il en parle, ne développe pas assez le sens de la bénédiction aujourd’hui dans l’Eglise. Y a-t-il une différence entre la bénédiction donnée à la fin d’un culte sur une assemblée, la bénédiction individuelle en cas de maladie ou d’épreuve que le pasteur ou tout chrétien peut donner à son prochain dans le cadre familial ou à l’hôpital, la bénédiction nuptiale lors d’une cérémonie de mariage, la bénédiction lors de l’ordination ou installation d’un pasteur ou d’un laïc dans des fonctions spéciales, la cérémonie des « fatigués et chargés » qui existe dans certains lieux, la bénédiction des confirmands lors de la confirmation ?

Pour moi, spirituellement, il n’y a pas de différence. Dans toutes les occasions où j’ai été amené à donner une bénédiction, je vis toujours le même mouvement intérieur, le même élan vers Dieu à qui je confie ceux pour qui j’invoque la bénédiction. Pour moi, la bénédiction, c’est une prière « renforcée » en acte. Bien sûr, elle est aussi une parole adressée à une personne ou des personnes de la part de Dieu.

Comme aumônier de prison, j’ai été amené régulièrement à célébrer des cultes en détention. Et comme nous le faisons habituellement, j’ai béni cette assemblée à la fin de chaque culte. Sans savoir comment cette bénédiction allait être reçue, comprise, sans me demander qui la méritait, qui était assez repentant pour la recevoir. Je l’ai donnée inconditionnellement à tous ceux qui étaient là, sans faire de distinction.

Je n’ai jamais été ennuyé par aucune autorité ecclésiale en faisant cela.

Alors, je ne comprends pas pourquoi je ne pourrais pas bénir deux personnes qui viennent à l’église pour remettre sous le regard de Dieu leur projet de vie, simplement parce que ce sont deux personnes de même sexe ?

On me dira, c’est le symbole qui dérange. Bénir un couple d’homos, c’est ce que représente la symbolique de cette relation !

Mais le symbolique c’est le Christ, et lui n’a fait acception de personne. « Je ne mettrais pas dehors celui qui vient à moi ! » (Evangile de Jean)

 Cette bénédiction ne vole rien aux hétéros !

Dans le Document, j’ai à certains moments l’impression que l’argument des hétéros contre la bénédiction de couple homo cache en fait la peur qu’on leur prenne quelque chose qui leur est réservée à eux seuls. C’est un sentiment qu’on a souvent en discutant avec ces personnes. D’où vient-il ? Pourquoi ont-ils le sentiment que cela va dévaloriser, voir rabaisser le mariage hétéro ? N’est pas de l’accaparement spirituel ? De quel droit ?

La phrase p. 29 : « Une bénédiction de couples mariés de même sexe serait comprise comme un message annonçant que toutes les conjugalités se valent ».

Pourquoi cette pensée, voire cette peur ? La question posée n’est pas celle de « toutes les conjugalités » mais seulement de 2, hétéro et homo. Les tenants de la bénédiction pour un couple homo ne disent même pas que ces deux conjugalités « se valent ». Ils veulent simplement affirmer que les deux sont possibles, ce sont deux chemins qui existent aujourd’hui, et qu’il faut les prendre en compte. On ne peut pas ne pas les prendre en compte.

 

La peur que la communion des Eglises soit brisée.

C’est l’argument « choc » que je rencontre essentiellement de la part des responsables d’Eglise. Il est réel et je le reconnais comme fondé. Oui, il y a risque. Oui, cela peut et va poser problème pour d’autres Eglises si nous acceptons de bénir des couples de même sexe. Derrière cet argument il y a une peur réelle. Il faut analyser cette peur en face. Il y a la peur de se priver aussi de bons paroissiens qui ne donneraient plus leur « obole » à l’Eglise en la quittant. Il y a aussi la peur de ne plus être crédible pour certaines Eglises, de perdre de l’influence sur elles, et donc du pouvoir ?

Est-ce vraiment une démarche spirituelle qui anime ces peurs ou sont-ce les finances et le pouvoir ? Qu’est ce qui est premier, sauver l’institution ou affirmer le message du Christ libérateur ?

L’Eglise que je porte en moi n’est pas une Eglise qui regarde constamment en arrière, sur sa tradition et sur la manière dont elle a compris les choses dans le passé, mais une Eglise qui va de l’avant, qui est prête à sortir des sentiers battus quand l’Esprit l’appelle et lui fait signe. C’est ainsi que je comprends l’engagement des Réformateurs. Bien sûr, il ne s’agit pas de faire n’importe quoi. Le discernement est toujours à faire. Mais comment se fait-il ?

On ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres. Si c’est à partir des vieilles outres qu’on discerne, il n’y aura pas de vin nouveau.

 

 Ouverture et conversion

Je me demande si cette question de la bénédiction, de prime à bord une question de détail par rapport aux questions fondamentales du salut et du sens de la mort et de la résurrection du Christ, n’est pas finalement une porte ouverte pour un profond renouveau et changement de mentalité dans notre Eglise. Oui, accepter la bénédiction officiellement d’un couple de personnes de même sexe demande un changement de mentalité, une conversion assez profonde des personnes qui aura des répercussions dans bien d’autres domaines. Je parle de répercussions spirituelles, dans le sens d’ouverture, oui, d’ouverture à Dieu, de libération de carcans dans lesquels nous sommes encore si souvent prisonniers (les principes, la tradition), d’air frais (et pourquoi pas d’Esprit saint) qui pourrait en jaillir sur nos communautés. Pourquoi ne pas y voir une chance, ou plus exactement une « GRÂCE » ? Nos Eglises sont quasi vides. Quel témoignage voulons-nous donner au monde ? Accepter de bénir des couples de même sexe, n’est-ce pas aussi dire au monde que le Christ s’intéresse à chacun et que chacun aussi différent et spécifique soit-il a sa place auprès de Dieu ? Non seulement le dire (ce qu’elle sait si bien faire), mais le signifier et le vivre (là elle a parfois plus de mal).

Alors la question de la communion ecclésiale qui risque d’être mise à mal, il faut la replacer dans un contexte plus large. La fidélité à l’Evangile et notre mission dans le monde.

 

L’avenir d’un couple homo dans l’UEPAL

Si la réponse de l’UEPAL est non à la question de la bénédiction, que va-t-elle dire aux couples de même sexe qui frappent à sa porte ? Ce n’est pas en brisant le thermomètre que la température va baisser ! Ces couples existent et existeront. On ne peut pas les ignorer. Si c’est un couple engagé dans une paroisse, il n’y aura au bout d’un moment plus aucune différence avec tous les autres couples, dans le concret de la vie. On ne verra pas l’un sans voir aussi derrière lui, l’autre, comme c’est le cas des couples hétéros. Et la VIE fera que les proches ne se rendront plus compte de la différence. Mais ce couple portera toujours en lui le refus de l’Eglise qui leur a interdit une bénédiction. C’est un peu ce qu’on voit déjà pour les couples remariés dans l’Eglise catholique à qui on refuse un remariage religieux et la plupart du temps la communion à l’Eucharistie. Qu’est-ce que cela apporte ?

Y a-t-il une bénédiction pour l’Eglise dans le refus ?

 

En conclusion

Je rajouterai que le manque de ce Document, et souvent dans ce genre de discussion dans nos Eglises protestantes,  est la référence au réel, au vécu, à l’expérience. La théologie ne résout pas tout. Nous avons aussi une raison et un bon sens … et un cœur. Déjà le prophète de l’AT le disait : « C’est la miséricorde que je veux, non le sacrifice ».

Pour le dire autrement, l’exégèse et pour une part la dogmatique sont toujours les deux piliers des discussions quand on aborde un tel sujet dans les milieux protestants.

Et la théologie pratique et la pastorale ? Elles font souvent défaut.

 

Pour finir, une citation du Professeur Gérard Siegwalt, extraite de la conférence : « Dieu, serait-il homophobe ? », donnée le 6 juin 2004 au FEC à Strasbourg.

 

L’homosexualité est un destin.

Dieu n’est pas seulement le Dieu de l’hétérosexualité. Il est le Dieu de l’hétérosexualité et de l’homosexualité, et de toutes les situations de vie. Il est pour toutes les situations de vie, le Dieu qui en elles,  appelle à la vie, à la vie véritable. Car l’hétérosexualité n’est pas déjà elle-même la vie véritable, mais elle est le point de départ d’une vie véritable. Quand on sait s’y ouvrir et donc y travailler. De même pour l’homosexualité, point de départ d’une vie véritable quand on sait s’y ouvrir et y travailler. C’est le point de départ qui est différent. La source et la fin ultime, sont, à partir d’un point de départ différent, les mêmes.

« Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon père » dit le Christ. Qui dit en même temps de lui-même qu’il est le chemin. « Je suis le chemin ».

« Le chemin ». « Beaucoup de demeures ». Ne coupons aucunes de ces affirmations de l’autre. Le Dieu de la vie trace un chemin, mais ce chemin est vécu par chacun dans la demeure dans laquelle l’existence le place.

La Bible est-elle homophobe ?

Oui, formellement, ici et là, en quelques rares endroits.

Non fondamentalement lorsqu’elle est considérée dans sa substance et donc dans son coeur.

Dieu est-il homophobe ?

Oui, le Dieu du fanatisme, mais il est un Dieu pervers, non le Dieu biblique véritable.

Non, car le Dieu véritable, à savoir le Dieu d’Abraham, d’Ismaël, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de Jésus que l’Eglise chrétienne confesse comme le Christ, est le Dieu non de l’uniformité, mais de la plénitude de la vie. Une plénitude irréductible à toute compréhension partisane, quelle qu’elle soit.

Pour finir, on ne peut qu’émettre le voeu que dans le concert des autres monothéismes, les Eglises chrétiennes, au nom de leur foi en Dieu et donc au nom de la vérité de l’amour se distancient clairement de leurs discriminations passées, et parfois encore présentes vis à vis de l’homosexualité, et qu’elles soient les porte-parole d’une attitude d’accueil vis à vis de tous les êtres humains, quelle que soit la forme de leur sexualité. En aidant chacun, chacune, dans la condition particulière de sa vie, à croître en vue de la réalisation de sa vocation dernière.

 

31.1.2014

 

Jean Schwach, Pasteur à Rountzenheim.

 

 

 

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