Paroisse du Marais : ma réponse (Thibaut Delaruelle, pasteur à Nice-Saint-Esprit)

25/06/2015 16:19

Ma réponse à la lettre du Marais du 20 mai 2015 "synode 2015, une bénédiction "unanime" et son annexe "notre déclaration de janvier 2013"

 

Objet : réponse à votre lettre « synode 2015, une bénédiction unanime ? »

Nice, le 24 juin 2015

Monsieur le président du Conseil presbytéral de l'EPU du Marais,
Mesdames et Messieurs les conseillers,
Chers collègues,

(...)

Le hiatus entre les deux textes de l'EPU du Temple du Marais et l'évangile qui s'est perdu en route

Votre courrier envoyé à toutes les paroisses suscite quelques réactions qui devraient être autant d'occasions d'affiner les vocations que l’Évangile nous inspire et de clarifier le statut de nos débats. Je m'excuse de répondre si tard, courant le risque de revenir sur des choses qui sont peut-être dépassées.

Je n'ai pas l'intention de discuter ici la décision du Synode. Si mon modeste point de vue sur ce sujet vous intéresse, j'en ai donné un commentaire audio disponible sur le site de notre Église locale.
J'ai lu attentivement vos deux textes : celui de 2013 « Convictions et propositions » et le dernier « Synode 2015, une bénédiction “unanime” ? ». Or, me semble-t-il, il y a un fossé important entre ces deux messages. Et c'est sur cela que je voulais attirer votre attention.

En effet, dans celui de 2013 vous partiez de la croix : « nous croyons que tout chrétien se tient devant la croix ». Avec une référence explicite et solide à Luther. Je vous cite: « [les] croyants sont tous, et toujours, à la fois pécheurs, sauvés, et repentants ». Le fondement est posé, à titre personnel c'est un fondement théologique et spirituel que je partage pleinement.

Partant de là, vous affirmiez le caractère second et relatif des identités (sociales, sexuelles, etc) dans une compréhension très paulinienne, selon laquelle en Christ « il n'y a plus ni juif ni grec, ni esclave ni libre, ni homme ni femme, etc ». Je vous cite: « tous ont leur place dans l’Église : celle-ci est nécessairement inclusive. Sinon elle est un ghetto où notre identité sexuelle serait devenue première ».

Vous explicitez de façon très juste cette approche : « pour nous, l'ancrage de cette réflexion est d'abord biblique, et non pas moral ou idéologique ».

Et c'est après ces points premiers que vous posez votre anthropologie fondée sur la différenciation sexuelle : « Nous reconnaissons dans les Écritures une humanité qui se structure dans la complémentarité homme-femme, etc ». Ou encore : « nous croyons que la féminité et la masculinité sont des catégories fortement culturelles, etc ». Et vous en tirez un certains nombre de conclusions sur le mariage et sur l'homosexualité.

Or, dans votre dernier texte – celui à propos du Synode – les choses sont très différentes, pour ne pas dire contraires. Si je lis bien, vous partez cette fois-ci directement de Genèse : « la lecture que nous faisons, notamment de Genèse 1-2, nous conduit à penser que la conjugalité, dans le projet de Dieu, implique la différenciation sexuelle homme-femme ». Faisant cela, vous mettez votre anthropologie en première position alors que, comme je viens de le dire, elle ne l'était pas dans votre texte de 2013.

De façon assez caractéristique, vous enchaînez avec la thématique de la loi. Et votre mention de Jésus n'a d'ailleurs trait qu'à la loi : « Jésus s'est approprié ce texte de la loi, en le citant lui-même. Dans son rapport à la loi, Jésus n'abolit rien, mais a plutôt tendance à pousser plus loin encore les commandements, etc ».

Du coup, dans ce second texte, il n'y a plus aucune mention de la justification par la foi, ni de la croix, ni du caractère à la fois « pécheur et justifié » du croyant. Entre ces deux textes, si vous me permettez l'expression, l’Évangile s'est perdu en route. C'est votre anthropologie qui a complètement pris le dessus et qui est devenue le centre du message. Certes, elle reste la même, elle y était dans le premier texte, mais sa place a changé au détriment de l'expression de la croix et de la justification.

 

L'anthropologie dans le Nouveau Testament : la nécessité de la croix

Si l’on prend deux grands exemples de textes du Nouveau Testament où une anthropologie est posée au début, dans les premiers chapitres de l’Épître de Paul aux Romains ou dans le prologue de l’Évangile de Jean, on constate pour le premier que cette anthropologie n'est pas posée comme un modèle à atteindre ou à conserver, mais pour pointer l'universalité du péché originel. Idem en ce qui concerne le prologue de l’Évangile de Jean, qui affirme que la lumière n'a pas été accueillie dans le monde où elle avait été envoyée. Ces anthropologies, dans ces deux textes, sont posées en premier uniquement pour mettre la croix et son œuvre de salut au centre.

Mon propos n'est pas de vous prendre en défaut, simplement de pointer cet aspect crucial qui, quelque part, remet en question votre propre prédication : au fond, est-ce que vous prêchez la croix en relativisent l'identité sexuelle (ce qui est la tendance de votre premier texte) ou bien est-ce que vous prêchez le couple et un ordre initial « créationnel » (ce qui est la tendance de votre second texte) ?

Ce basculement d’accent n’est pas aussi anodin qu’il y paraît : la question se pose de savoir ce qui constitue pour vous le cœur de l’Évangile. Et, à partir de là, ce que vous considérez comme premier (fondement de la communion en Christ) et ce qui peut être considéré comme second, sinon secondaire (ouvrant la voie à une légitime diversité ecclésiale). Si, par ailleurs, vous entendez articuler ces deux pôles (justification et foi/création et anthropologie), dans ce cas il est indispensable de préciser la manière dont vous effectuez cette articulation. En l’état, ce qui ressort de la succession de vos deux messages est que l’ordre de la création et de l’anthropologie a pris le pas sur l’événement de la justification et de la foi. C’est ce que j’entends pointer en vous disant que, quelque part, l’Évangile s’est perdu en route.

Par ailleurs, il est clair que les Églises de l'union ne seront probablement jamais unanime sur cette question de l'anthropologie. Mettre ce point au centre, c'est aller inévitablement au conflit.

La seule chose qui peut nous mettre tous d'accord, ce n'est pas nos représentations et convictions (opinions?) en la matière, mais la seule œuvre du Seigneur pour nous, autrement dit la croix. Nous savons bien, en effet, que notre fraternité n'est pas l’œuvre de nos proximités, de nos ressemblances, mais fondamentalement l’œuvre de Celui qui a tant aimé ce monde. Certes, il est bon et souhaitable d'être d'accord, c'est plus simple : trop de divergences anthropologiques risquent de nuire. Mais sachons reconnaître que, fondamentalement, la fraternité n'est pas notre œuvre et qu'en ceci elle est une exigence première. Remettons la croix en premier et au centre, et relativisons ce qui est second. Ensuite, si vraiment nous devons discuter d'anthropologie, nous discuterons d'anthropologie, risquant un dialogue de sourds que seul le temps et l'histoire arbitreront...

 

Deux points supplémentaires à relever dans la réaction du Temple du Marais à la décision du synode national

Si je reprends votre dernier message, je relève encore deux points qu'il faut approfondir parce qu'ils me paraissent incomplets. Ils sont d'autant plus importants qu'ils touchent à l'autorité des Écritures et à la place de la loi.

Je vous cite : « nous croyons que la lettre du texte biblique est fondamentale pour tout chrétien, qu'elle résiste parfois à nos interprétations, etc » (c'est moi qui souligne). Il faut vous rendre cette justice, à la fois de ne pas être fondamentaliste (ce serait tellement plus simple), et à la fois de ne pas céder sur l'exigence de la lettre (ce serait tellement plus simple aussi de « contextualiser » à outrance pour esquiver les difficultés ou les exigences du texte). Sur ce point, je me sens proche de vous : la tension entre lettre et Esprit est difficile mais indispensable.

Lecture littérale ou "exégèse" à la carte ?

Aussi, je ne veux pas vous accabler de reproches sur ce « parfois ». Mais il met en évidence un critère herméneutique très flou et, en définitive, il fait apparaître que votre lecture de la Bible est une interprétation tout aussi subjective que les autres (tout en se croyant plus objective). On peut donc craindre que, sur certains points, ce « parfois » cautionne une lecture très littérale (par ex. sur le sujet qui nous occupe : l'homosexualité et ses mentions négatives dans la Bible). Et qu'il permette, à l'inverse, une lecture plus « spirituelle » sur d'autres sujets, comme par exemple sur la question du divorce (alors que le texte Mc 10 est littéralement négatif et fermé quant à cette possibilité). Un collègue adventiste, à qui j'avais répondu qu'à mon avis l’approche de l'homosexualité était la même que celle des couples divorcés, m'avait répondu : « sur l'interdit du divorce je fais l’exégèse... ». Moi aussi, je fais l'exégèse sur le texte concernant le divorce. Mais pourquoi ne la ferais-je pas sur les textes traitant de l'homosexualité ? Étant entendu que, pour moi, exégèse ne signifie pas faire de la Bible un « nez de cire » malléable à merci, mais déterminer d'abord un critère interprétatif, un centre (la loi qui condamne et l’Évangile qui justifie) et, à partir de là, lire les textes en assumant ce point de vue confessant.

La radicalisation de la loi chez Jésus

Je veux relever un second point à partir de ce que vous écrivez : « dans son rapport à la loi, Jésus n'abolit rien, mais a plutôt tendance à pousser plus loin encore les commandements, comme il le fait par exemple pour l'adultère en Matthieu 5,27ss ». Je ne redis pas ce que j'ai déjà dit sur le fait que la justification par la foi manque dans votre argumentation, et que cela rend donc la question du rapport à la loi problématique en risquant d'ouvrir sur un retour à la justification par les œuvres de la loi.

Mais justement le passage de Matthieu ne me semble pas avoir seulement « tendance à pousser plus loin les commandements », comme vous dites, mais à les radicaliser complètement (la convoitise, avant un éventuel passage à l'acte, est déjà adultère [Mt 5,27], et la moindre insulte est mise au même niveau que le meurtre [Mt 5,22]). Cette radicalisation a pour effet de changer la place de la loi : elle ne peut plus permettre de se justifier (étant devenue trop radicale) – mettant ainsi fin à l'hypocrisie de celles et ceux qui prétendaient en tirer leur justice et leur supériorité – mais elle condamne irrémédiablement, poussant le croyant, comme dit Luther, à « désespérer de lui-même » pour chercher sa planche de salut dans la seule grâce du Christ. Par ailleurs, la loi est intériorisée jusque dans le désir : le péché ce n'est plus « faire ou ne pas faire » mais c'est convoiter sa propre justice: théologiquement, la question du péché ne se pose pas au niveau de la pratique ni de l’acte, mais au niveau du désir qui pousse à agir. On peut donc parfaitement pécher en faisant le bien, dès lors que « faire le bien » est investi par le désir de s’autojustifier devant Dieu en se montrant conforme à l’idéal de la loi. Quelque part, ce passage de Matthieu rejoint le Paul de Romains et de Galates (sur l'intériorisation de la loi et son rapport au désir voir Rm 7,7ss).

Sur ce point biblique, fondamental mais hélas trop rapide, qu'il me soit permis de renvoyer à un développement moins bref : ici ! (Epître à une conscience inquiète)

Conclusion

En conclusion, il me semble que cette question de la bénédiction des homosexuels chrétiens vous trouble – comme elle en trouble d'autres. Vous avez le droit d'avoir vos convictions en la matière, c'est votre conscience. Il y a d'autres convictions possibles, et non moins fondées sur les Écritures et sur l’Évangile : il est bon de les respecter, et que les « forts » n'écrasent pas les « faibles ». En revanche, il me paraît problématique que cette question prenne l'importance qu'elle prend chez vous, au point de faire passer la croix et la justification par la foi seule du centre à la périphérie. La bénédiction des couples homosexuels chrétiens est une simple possibilité ouverte à ceux qui veulent s'en saisir pour la prédication de l’Évangile : faisons-nous confiance mutuellement sans épier la liberté que chacun croit trouver dans son obéissance à Christ.
Je vous remercie encore pour votre courrier, j'espère que le mien recevra l'accueil fraternel dont il se veut le témoignage.
En Christ.

Pasteur Thibaut Delaruelle

 

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