Rapide réponse à un théologien (Jürgen Grauling)

11/05/2015 17:18

22 mai 2014, 23:12

 Cher théologien,

 

J’ai en souvenir un échange de courriels surréaliste, dans lequel le professeur que tu es ne daignait répondre que par monosyllabes à quelques interpellations rapidement formulées concernant la bénédiction des couples de même sexe, comme si la question était entendue d’avance et ne valait même pas la peine d’être discutée. Aussi suis-je heureux de voir que tu as pris la peine d’expliquer ta pensée en treize (!) pages, ce qui montre qu’on ne peut prendre le sujet à la légère !

 

Toutefois, comme tu le pressentais, tes « considérations » peinent à me convaincre, et ce n’est sûrement pas l’absence de notes de bas de page savantes qui en est la cause. Aucun de tes arguments bibliques, théologiques, historiques ou pragmatiques n’est décisif ; au contraire, j’ai l’impression que malgré tout le sérieux dont tu es capable, cette position de condamnation de l’homosexualité (car c’est bien de cela qu’il s’agit dans ton écrit et non seulement de refus de bénédiction) n’a pas de réel fondement rationnel.

 

Tes considérations bibliques et théologiques

 

Je ne suis pas loin de convenir avec toi que les rares versets bibliques concernant l’homosexualité, tant dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament (avec toutes les précautions d’emploi concernant ce terme datant du 19ème siècle et les réalités qu’il recouvre à l’époque biblique), la condamnent unanimement. Et alors, ai-je envie de dire !

 

Le fait que les allusions sont rares, que les textes du Nouveau Testament ne la nomment que dans des catalogues de vices, sans considérer un instant de quoi il s’agit exactement me font dire que ces versets-là ne sont pas cruciaux. Ce n’est pas parce que Paul et ses successeurs connaissaient le phénomène dans le monde environnant, qu’ils le comprenaient mieux. Au contraire, d’autant plus ils se sont ralliés aux préjugés judaïques traditionnels de leur temps qui prônaient la séparation entre ce qui est « pur » et ce qui est païen. Il importe aujourd’hui de démontrer en quoi un comportement particulier correspond au péché au sens large : la séparation d’avec Dieu ou d’avec son prochain. Dans le cas de l’homosexualité, en quoi le fait de vivre une relation stable et épanouissante avec une personne de même sexe empêche-t-il d’avoir une relation authentique et profonde avec Dieu ? Il me semble que tu ne tentes même pas d’y répondre.

 

Alors que dire du point Godwin, quand tu compares la relativisation de données patriarcales avec la relecture biblique nazie ? Et en plus, tu insistes lourdement. J’ai peine à croire que ce soit l’historien qui parle.

 

Bien sûr qu’il nous faut tenir compte du contexte historique et culturel dans lequel la Bible est écrite. La révélation est incarnation et accepte donc l’imperfection. Je ne peux pas attendre que les textes bibliques prônent l’égalité entre femmes et hommes. Même si Jésus démontre une attitude particulièrement prévenante envers les femmes, que sous certaines conditions des femmes avaient droit à la parole : tous les écrits sont unanimes, il y a une hiérarchie entre hommes et femmes (la relation mari/femme égale Christ-chef/église, Ephésiens). Ceci est pour moi une donnée clairement culturelle et contingente et nullement due à une « métaphysique des sexes » voulue par le Créateur.

 

De même, Ancien et Nouveau Testament sont unanimes : l’esclavage y est toléré et réglementé, mais nulle part remis en question. Ce sont les valeurs d’amour du prochain qui nous font rejeter l’esclavage comme contraire au christianisme aujourd’hui !

 

C’est qu’en matière d’éthique il nous faut aller plus loin qu’une pêche à la ligne aux versets bibliques. Oui, « Dieu donne (Evangile) et ordonne (Loi) » ! Mais, les considérations éthiques doivent se baser sur des principes beaucoup plus généraux qui peuvent se décliner différemment selon les époques et les cultures. Et je ne nomme rapidement que deux de ces principes centraux : le triple commandement de l’amour (aimer Dieu de toute sa force, soi-même et le prochain autant que soi-même) qui contient « toute la Torah et les prophètes » et la liberté responsable prônée par Paul : « Tout m’est permis, mais tout n’est pas utile ! » (En 1 Corinthiens 10, il relativise ainsi le principe impératif, pourtant décidé par le « premier concile de

Jérusalem » en Actes 15, de s’abstenir des viandes sacrifiées aux idoles !). Je pense que l’invocation de Galates 3/27s (ni juif, ni grec, ni homme, ni femme, ni esclave, ni maître) est de cet ordre là !

 

Tes considérations historiques

 

Terrain glissant ! Ici, tu es le spécialiste. Et pourtant !

 

Mes courtes explications sur l’Ethique devraient suffire pour montrer qu’il ne s’agit pas d’abandonner l’exigence de la Loi et de l’Evangile. Au contraire, cette attitude est d’autant plus exigeante qu’elle ne peut pas se baser simplement sur la lettre de lois écrites, mais qu’elle doit s’interroger en permanence et avec sincérité sur le sens profond de la responsabilité vis-à-vis de Dieu et du prochain. Elle ne mène pas à une morale complètement aléatoire et je ne la sens en rien concernée par la citation de la déclaration de Barmen (encore le point Godwin). Je vois même Bonhoeffer appliquer cette attitude exigeante quand il se résout - malgré les interdictions claires et unanimes du meurtre dans la Bible - à participer au complot contre Hitler.

 

Luther et le mariage. Là, je pourrais te retourner le compliment : ne lui faisons pas dire, ce qu’il n’a pas dit. S’il loue le mariage, c’est avant tout parce qu’il conteste vigoureusement les bienfaits et la sainteté du célibat tant encensés dans l’Eglise de l’époque. Ce qu’il dit des bienfaits du mariage s’appliquerait, selon moi, également à un couple homosexuel. Mais l’union entre un homme et une femme en opposition à une union de personnes de même sexe n’était pas son sujet. Je te l’accorde, il y aurait été opposé s’il avait eu à écrire sur le sujet, mais on lui connaît aussi des propos antisémites qui nous font honte, aujourd’hui.

 

Enfin, bien évidemment que Luther et les Réformes précoces tenaient énormément à la lettre des Ecritures. En ce temps de la Renaissance, les sciences indépendantes de la théologie n’étaient qu’à leurs balbutiements ! Nous ne pouvons pas faire comme si les Lumières n’avaient pas eu lieu entre temps. Il nous faut prendre en compte des résultats scientifiques, quand ils éclairent d’un jour nouveau les textes bibliques. Ne

répétons pas les erreurs de l’Eglise qui poursuivit Galilée, parce que ses affirmations contredisaient soi-disant la lettre de la Bible !

 

Ce que j’attendrais à ce sujet des théologiens universitaires européens, à l’approche du 500enaire de la Réforme, c’est de réfléchir à frais nouveaux au principe du Sola Scriptura. Je ne crois pas qu’il soit caduc, mais je suis convaincu que nous ne pouvons plus le comprendre tout à fait comme à l’époque des Réformateurs.

 

Tes considérations ecclésiales et pratiques

 

Contrairement à ce que tu penses, je trouve que c’est l’argument le plus percutant que tu proposes. Même si je suis convaincu que vous avez tort sur le fond, toi et les opposants à la bénédiction des couples de même sexe, je conviens aujourd’hui avec toi qu’une prise de décision est prématurée, à cause des réticences très fortes et un débat concret trop récent. Je crois qu’il faudra la reporter avec une date pas trop lointaine, mais tout en continuant la réflexion et la discussion et en réfléchissant à des mises en œuvre concrètes de ce fameux accueil inconditionnel prôné en 2004 ! Mais je suis sans doute le seul parmi les tenants de la bénédiction à penser cela, d’autres n’entendent pas faire attendre plus longtemps les couples concernés, ce que je comprends bien évidemment.

 

Enfin, une réflexion totalement absente

 

Malgré un petit bout de phrase en introduction par laquelle tu demandes pardon aux personnes homosexuelles, si tes propos devaient les heurter, il n’y a dans tes explications pas le moindre effort d’essayer de prendre en compte la réalité des minorités sexuelles. Au contraire, pour toi l’expérience des personnes homosexuelles semble être une quantité négligeable devant l’orthodoxie « biblique ». Non, une « situation particulière » n’est pas à transformer automatiquement en norme éthique, mais il faut l’examiner avec soin et non la mettre de côté de manière lapidaire. Aussi ai-je l’impression d’entendre un certain mépris suinter de ton document, quand tu dénonces le « matraquage » et la « propagande » des médias qui font figurer dans chaque série un couple homosexuel, la « destruction de la famille » à travers le vote de la loi sur le « mariage pour tous ». La théorie du complot du « lobby gay » n’est pas très loin dans tes propos, et ce n’est là qu’une manière de disqualifier un ennemi imaginaire. Et si les médias et la loi prenaient tout juste un peu mieux en compte une réalité trop peu connue, jusqu’ici ?

 

Or, nous n’avons plus le droit de passer à côté des études récentes qui établissent clairement que l’homosexualité n’est ni une maladie, ni un crime, mais un état de fait qui s’impose à l’individu sans qu’il l’ait choisi ! Et sans vouloir idéaliser les couples de même sexe en les opposant aux couples hétérosexuels aux relations parfois aussi défaillantes, nous ne pouvons pas passer à côté des expériences de partenaires de même sexe aimants avec une vie commune pour certains de 20, 30 ou 40 ans !

 

Avec mes salutations fraternelles !

 

Jürgen Grauling

 

* Par ce texte, l'auteur réagit à un document déposé à la présidence de l'UEPAL dans le cadre de la consultation et circulant par courriel. Il n'est pas public pour l'instant.

 

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