Une résolution de bon sens mais trop frileuse, une synthèse bâclée et les orientations d'un président déplacées (Jürgen Grauling)

11/05/2015 17:25

(prise de position après la décision de l'Assemblée de l'Union de surseoir à toute décision concernant l'ouverture des bénédictions nuptiales aux couples de même sexe)

4 juillet 2014, 16:09

Assemblée de l'Union/UEPAL

 

Une résolution de bon sens mais trop frileuse, une synthèse bâclée et les orientations d'un président déplacées

 

De Jürgen Grauling

 

Une décision de bon sens, mais ...

"Pas mûrs pour décider" titraient les Dernières Nouvelles d'Alsace* en citant les propos de C. Albecker, résumant ainsi les débats de l'Assemblée de l'Union des 28 et 29 juin 2014 concernant une éventuelle bénédiction des couples mariés de même sexe. Personnellement, j'approuve ce constat ainsi que la résolution de surseoir à une décision sur le fond de la question pendant quelques années. Si je considère qu'une liberté d'appréciation donnée aux paroisses et pasteurs aurait été la décision la plus juste - parce que les positions déjà présentées dans le document préparatoire de l'UEPAL ont toutes les deux une légitimité forte dans le protestantisme luthéro-réformé actuel ! -, je pense aussi qu'il est sage de ne pas brusquer une évolution majeure dans notre pratique pastorale et symboliquement forte au niveau liturgique.

 

La décision n'est pas mûre et le sursis provisoire est de bon sens. Il faut se réjouir, au contraire, de l'évolution des mentalités qui s'est traduite par une forte participation des paroisses à la consultation ecclésiale (107 retours collectifs contre 18 en 2003) avec des résultats très encourageants (52% favorables, 24% défavorables à une forme de bénédiction contre 75% défavorables en 2003 !). Réforme, dans son édition du 3 juillet, fait état de débats internes d'une grande qualité au sein de l'Assemblée de l'Union, ce qui laisse augurer une culture de dialogue renforcée grâce à la question de l'accueil des personnes LGBT. Les membres de l'Assemblée de l'Union ont, quant à eux, montré un partage assez net et équilibré entre défenseurs et pourfendeurs de la bénédiction (44% vs 49%).

 

Néanmoins, je tiens à exprimer trois regrets majeurs concernant les événements de cette réunion au sommet de l'UEPAL : la résolution finale est frileuse, la synthèse des débats antérieurs bâclée et l'allocution initiale du président sous cette forme déplacée !

 

Une résolution finale trop frileuse

La résolution adoptée par l'Assemblée a le mérite d'exprimer plusieurs points positifs :

1) Elle réaffirme et renforce l'accueil inconditionnel des personnes LGBT et appelle les lieux d'Eglise à lutter contre les discriminations, notamment homophobes !

2) Elle acte explicitement l'accueil et l'accompagnement des couples mariés de même sexe.

3) Elle affirme que la lecture des Ecritures appelle l'interprétation et qu'elle "ne permet pas, à elle seule, de tirer d’emblée une conclusion qui fasse

consensus sur la question de la bénédiction pour couples mariés de même sexe". Ceci pourrait paraître comme une évidence, car ce principe est appliqué à bien d'autres questions depuis fort longtemps, mais en matière d'homosexualité on avait la fâcheuse tendance à adopter une lecture littérale des textes concernés.

 

Toutefois, quelques omissions, des formulations imprécises et la remise en question de la loi sur le mariage pour tous ternissent le tableau, à mon point de vue. J'aurais attendu que l'Assemblée de l'Union donne plus de corps à l'accueil inconditionnel attendu des paroisses. Celui-ci est prôné depuis 2004, mais faute de contenu concret largement inappliqué. N'aurait-on pas pu exprimer le voeu qu'une commission particulière veille à l'application de cet accueil et cet accompagnement des couples de même sexe, pourquoi pas jusque dans les travaux de la pastorale conjugale et familiale. J'aurais même espéré la création d'un observatoire de la condition des personnes LGBT au sein de l'UEPAL ! Enfin, et c'est malheureusement un classique dans les déclarations d'Eglises - qui en dit long ! - à l'image de celle de la FPF en octobre 2012, je déplore fortement que l'on ne prenne pas directement en compte les personnes concernées. Une petite phrase aurait pu réparer cet oubli : "Nous regrettons de ne pas pouvoir apporter de réponse immédiate aux demandes de bénédiction qui seraient formulées par des couples mariés de même sexe. Nous les prions de bien vouloir comprendre que notre Union d'Eglises a besoin de temps pour mûrir sa décision sur cette question."

 

Ensuite, le troisième paragraphe qui exprime une ambivalence prête à confusion. Que signifie donc la mention : "Une bénédiction de personnes mariées est toujours une bénédiction d’un projet de vie de couple." Signifie-t-elle, comme l'ont pensé certains commentateurs, que les couples de même sexe, à la différence des couples hétérosexuels, n'ont pas de projet de vie couple ? Pour moi, cette phrase bat simplement en brèche l'argument réducteur qui disait qu'on ne peut pas refuser une bénédiction à des individus. La phrase affirmerait donc au contraire qu'il s'agit bien de projets de vie de couples sur lesquels on prononcerait la bénédiction, si une liturgie pour les couples de même sexe était adoptée.

 

Etait-il nécessaire de railler le législateur sur la loi du mariage pour tous ? J'aurais préféré que l'Assemblée énonce un regret, tout en actant l'état de fait : "Nombre parmi nous auraient préféré que le législateur maintienne une distinction symbolique entre mariage classique et l'union de personnes de même sexe. A présent, il nous appartient de clarifier de quelle manière accueillir les couples mariés de même sexe."

 

Dernier regret concernant la résolution : j'aurais aimé que l'Assemblée se donne une date butoir à laquelle elle serait saisie à nouveau sur cette question. La formulation adoptée ("un délai de trois ans avant d'envisager de reprendre la question") reporte à une délibération ultérieure, sans se donner de délai impératif.

 

Une synthèse bâclée

A plusieurs reprises, le président de l'UEPAL a laissé entendre aux pasteurs que la consultation n'était en aucun cas un référendum. Il ne s'agirait donc pas de multiplier les prises de positions et les signatures, mais de prendre en compte le fond des argumentations. A la lecture de la synthèse présentée à l'Assemblée de l'Union présentée par Bettina Schaller et Karsten Lehmkühler, nous sommes obligés de déchanter ! Seuls les chiffrages en ressortent clairement, et l'argumentation est plus ou moins escamotée ! Il ne suffit pas de résumer la teneur générale des 107 contributions collectives et 58

individuelles, il aurait fallu donner un aperçu détaillé de la profondeur des argumentations, afin que les membres de l'Assemblée de l'Union aient pu se faire une opinion documentée. Il est à espérer que ceux-ci aient eu accès directement à certaines prises de position favorables et défavorables et aient pu consulter le débat public sur www.facebook.com/benedictionUEPAL. Pourquoi, s'il ne s'agissait pas d'un référendum, faire le pourcentage des contributions individuelles ? Pourquoi mettre en exergue soeur Danielle des diaconesses, en quoi serait-elle plus représentative que René Lamey, membre de la commission conjugale et familiale, non cité, dont la position représente pourtant sans doute 66% des pasteurs ? A mon avis,on n'aurait pas dû se contenter d'un relevé trop succinct des arguments en présence (partie III, page 4) en estimant que l'essentiel avait été dit dans le document préparatoire. Plusieurs articles ont justement contesté plusieurs aspects dudit document, comme ce qui est entendu sous le terme d'anthropologie biblique, la présentation des textes bibliques ou encore la compréhension scientifique de l'homosexualité.

 

Les orientations d'un président déplacées

Enfin, je reviens sur le discours tenu par le président de l'UEPAL en inauguration à la réunion de l'Assemblée de l'Union. Au lieu d'introduire les débats internes et de se contenter de voeux pour des échanges respectueux, le président se livre à une réelle synthèse où il exprime une version des choses

très orientée. C'est pour le moins surprenant pour une Assemblée qui a décidé de se doter pour la première fois de deux modérateurs afin d'assurer une parfaite neutralité dans la conduite des débats !

 

A mon point de vue, toute la seconde partie des réflexions concernant la bénédiction (page 3, second paragraphe jusqu'à la fin de la page 4) est déplacée, puisqu'objet du débat. Que ce soit concernant les allusions à la fidélité biblique, à la grâce à bon marché de Bonhoeffer et la déclaration de Barmen, les dissertations sur le respect des "petits" et sur la compréhension de la communion en Eglise ou entre Eglises ou l'affirmation gratuite qu'il faudra obligatoirement distinguer couples de même sexe et couples de sexe opposé, je m'inscris en faux. Non, l'adoption d'une bénédiction pour les couples de même sexe ne menace pas fondamentalement le principe réformateur du Sola Scriptura, et oui, elle implique l'exigence de l'amour-agapè dans la vie de couple. Mais j'ai déjà traité plus amplement de ces questions dans "Réponse rapide à un théologien".**

 

Contrairement à M. Albecker, je considère que les "petits" ou "faibles", au sens de l'apôtre Paul (et non au sens littéral), qu'il faut respecter dans le débat, ce ne sont pas uniquement les indécis et les croyants biblicistes ou conservateurs. Il nous faut aussi prendre particulièrement soin des personnes LGBT qui sont régulièrement montrées du doigt (et notamment à travers la tenue de ce débat !) et des personnes qui regardent de loin le positionnement de l'Eglise, les fameux "distanciés" qui risquent d'être une fois de plus rebutés par un positionnement trop frileux de l'Eglise, qu'ils jugeraient à tort ou à raison en contradiction avec le message fondamental de l'amour véhiculé par le christianisme.

 

Enfin, le président cite les autres Eglises de la Fédération Protestante de France qui demandaient aux luthéro-réformés de leur laisser un peu de temps. Si je tiens beaucoup à l'oecuménisme, aussi avec l'Eglise catholique romaine, je ne pense pas que cela devrait nous influencer particulièrement et freiner dans notre ouverture envers les personnes LGBT. Si nous considérons que celle-ci fait partie de notre témoignage évangélique, nous devons prendre position et la défendre dans les relations inter-ecclésiales, comme nous l'avons fait en son temps pour le ministère féminin.*** Un certain nombre d'Eglises membres de la FPF n'hésitent pas non plus à afficher leur couleur, quand il s'agit de défendre une morale rigoriste qu'elles croient conforme au message biblique. La raison d'être de l'EPUdF et de l'UEPAL n'est pas, selon moi, de rivaliser avec les Eglises évangéliques et pentecôtistes, mais de se profiler résolument dans une interprétation conséquente de la Bible à partir de la grâce en Jésus-Christ et du triple commandement de l'amour (Dieu au-delà de tout, puis le prochain comme soi-même).

 

En résumé, je pense que l'opinion du président aurait été la bienvenue pendant le débat, mais en aucun cas elle ne pouvait prétendre à exprimer une sorte de "consensus préalable", telle qu'elle a été présentée.

 

Les suites de l’Assemblée de l’Union

Le combat continue. Il s’agit maintenant de s’assurer que la lutte contre l’homophobie devienne concrète, de promouvoir des espaces d’accueil inconditionnel, de veiller à ce que la question de la bénédiction ne tombe pas dans l’oubli et sera effectivement reprise d’ici trois ou quatre ans, de continuer à argumenter patiemment et, pour les plus téméraires, de réfléchir aux contours d’une pastorale conjugale et familiale spécifique pour les couples de même sexe, “sans entretenir de confusion entre couple homosexuel et hétérosexuel”.

 

 

 

* édition du 1er juillet 2014

** https://www.facebook.com/notes/uepal-en-d%C3%A9bat-b%C3%A9n%C3%A9diction-de-couples-mari%C3%A9s-de-m%C3%AAme-sexe/rapide-r%C3%A9ponse-%C3%A0-un-th%C3%A9ologien-de-j%C3%BCrgen-grauling/636651326421603

*** Peut-être a-t-on rappelé dans les instances de la FPF que ce sont nombre de délégués alsaco-mosellans qui avaient poussé le Conseil de la FPF à prendre une position réservée dans le débat sur le mariage pour tous, le 13 octobre 2012. Un comble, quand on y pense : les deux Eglises luthéro-réformées de France venaient de se doter de commissions ad hoc sur la question et entraient en dialogue interne. Par conséquent, elles auraient dû pousser la FPF - où elles ont une voix prépondérante - à la neutralité !

 

 

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