A une paroissienne opposée au mariage pour tous (Jürgen Grauling)
11/05/2015 20:18
Bien chère S.,
ainsi que tous les amis que tu représentes,
et je sais qu’ils sont un certain nombre !
J’apprécie beaucoup cette entrée en dialogue qui a dû te coûter, tout autant que m’a coûté mon « coming-out » théologique avec les 95 thèses. Ce n’est pas évident de prendre position dans ce débat, tant il touche à un tabou : la sexualité. Les sociétés et religions ont tout fait, et depuis fort longtemps, pour encadrer, codifier, voire enfermer cette poudrière qui est en nous, source potentielle de tous les dangers et toutes les perversions. LA solution trouvée était le mariage où effectivement l’intimité du couple permettait l’épanouissement des deux partenaires dans un cadre de confiance … dans le meilleur des cas, puisque le mariage d’amour n’est qu’une conception très récente et fragile ; jusque là c’était une institution où la domination de la gent masculine sur la gent féminine était largement répandue, et malheureusement elle continue de l’être sous d’autres latitudes, et même parfois sous la nôtre.
Ce n’est pas évident de prendre position aussi, parce que cela concerne une minorité. La tentation de la facilité voudrait de ne pas statuer sur la question, de laisser la minorité de côté, de rester indifférent. « Ils sont adultes et consentants, qu’ils fassent ce qu’ils veulent, mais qu’ils ne nous ennuient pas avec leurs histoires de cœur. » Un individu qui fait cela est indifférent. Une société ou une église qui fait cela exclut de son sein une large minorité. Nous devons donc nous poser la question de la place à réserver à cette minorité !! C’est pour cela qu’on parle aujourd’hui « mariage pour tous » et que nous avons rédigé les 95 thèses. Qu’on puisse ne pas être d’accord avec ces solutions, cela s’entend, mais dans ce cas trouvons-en d’autres !
Dans ton courrier, tu cites deux témoins, Philippe Arino, catholique homosexuel ayant choisi le célibat, et Gilles Boucomont, pasteur charismatique de la paroisse réformée du Marais (Paris) en contact avec des chrétiens homosexuels dans son lieu d’action. Je sais qu’un autre témoin, l’un des corédacteurs des 95 thèses t’a déjà donné son point de vue personnel qui ne concorde pas avec ces deux-là. Dans ton courrier, tu soulèves la question du Christ libérateur et en d’autres mots de la « guérison ». Je vais essayer d’y répondre à ma manière.
Les « blessures » et « fêlures » dont tu parles et parle Philippe Arino, sont pour moi une constante humaine fondamentale, les relations « mortifères » que pointe Boucomont ne sont pas spécifiquement « homosexuelles » mais une tendance malheureusement universelle. Nous sommes tous des blessés, des fêlés et des mal-aimés. Nous trimballons tous notre fardeau de casseroles accumulées au courant de notre enfance et de notre histoire. Nous avons tous dû faire face, durant l’adolescence, à la montée d’hormones qui nous a pris en traitre alors que nous n’avions rien demandé à personne. Nous nous y sommes faits, parce que d’autres vivaient la même chose que nous et que nous avons appris, bon gré, mal gré à dompter cet autre, cet étrange étranger en nous, avec plus ou moins de bonheur ! Personnellement, j’ai vécu ma relation avec Dieu comme une aide précieuse pour faire face à mes propres insuffisances et expériences malheureuses. Oui, je peux dire ma foi était un lieu de « guérison » et de « libération », que le Christ a été un « guide » qui m’a aidé à voir plus clair et à faire mes choix dans la multitude des possibles qui semblaient s’ouvrir à moi pendant la jeunesse (« Tout est possible, mais tout n’est pas utile … »). J’ai hésité à dire les « bons choix », je dirais plutôt des « choix bons », parce que je pense qu’il n’y avait pas qu’une route acceptable possible mais plusieurs …
Quant aux personnes homosexuelles ou faisant partie des autres minorités sexuelles, et c’est là que nos avis divergent, j’affirme que leurs blessures et fêlures ne sont pas fondamentalement différentes des nôtres. Ce sont strictement les mêmes dont nous souffrons les uns et les autres. Sauf que, se découvrir différent de la majorité ambiante accentue certainement le malaise vécu vis-à-vis de cet étrange étranger en nous et rend plus difficile son acceptation. Cela implique de dissimuler cette particularité pendant longtemps ou de s’assumer très rapidement tout en affrontant le regard des autres. S’ajoute à cela l’exacerbation que provoque le rejet de l’homosexualité (mais contre cette dernière réalité, nous pouvons tous faire quelque chose – voilà pourquoi je milite pour l’accueil inconditionnel !!).
Face à ces difficultés, les personnes concernées ont apporté différentes solutions. Pendant longtemps, elles ont lutté à faire accepter leur différence dans l’espace public. Le travestissement et les exubérances des gay-prides étaient et sont une manière de contrer dans la provocation le mépris de la société. « Si cette dernière nous damne et condamne, autant vivre une existence de damnés, mais vivre tout de même et avant tout ! » Il ne serait venu à l’idée de peu de personnes de ces générations décrites dans le film « Les Invisibles » actuellement à l’écran d’exiger la reconnaissance de la société civile, tant celle-ci était hostile : poursuites pénales jusque dans les années 80, toutes sortes de discriminations etc. Les vies « débridées » ne sont pas à mettre au compte de la nature même des minorités sexuelles, mais s’expliquent en bonne partie par réaction à ces discriminations. Par ailleurs, elles existent aussi chez les « bons, vieux » hétérosexuels !
Les temps ont changé, et heureusement ! Mais du coup, de plus en plus de personnes appartenant à une minorité sexuelle aspirent maintenant à une certaine banalisation. Aujourd’hui, nombre parmi elles souhaitent mener une existence apaisée et vivre « comme tout le monde » !
Je suis immensément respectueux du choix de vie qu’a fait Philippe Arino. Toutefois, j’envisage que le sien ne sera pas celui de tant d’autres … Ce que je reproche à Gilles Boucomont n’est pas d’envisager la « guérison » et la « délivrance », mais l’objectif a priori de cette guérison et son jugement généralisateur (cela vaut aussi pour Arino). On constate un déséquilibre entre les partenaires, voire de la violence, dans beaucoup de relations homosexuelles et l’on en conclut que c’est l’homosexualité elle-même qui veut cela. Mais le même déséquilibre existe dans beaucoup de couples hétérosexuels et l’on en conclut que c’est la différence homme-femme qui veut cela. Mais est-on aveuglé à ce point pour ne pas vouloir comprendre que les uns et les autres ont besoin de « guérison » de leurs relations afin de pouvoir accepter le partenaire comme alter ego, c’est-à-dire radicalement autre et différent et ayant pourtant autant de valeur que soi-même !! Cet équilibre-là de « l’alter-égal-ité » est le plus grand défi de tous les couples ! (Soit dit en passant, cette remarque implique bien évidemment que les relations déséquilibrées telles que la pédophilie ne pourront jamais prétendre à une reconnaissance de la société, quoiqu’insinuent maints commentaires publics qui visent à discréditer une fois de plus, et avec une violence inouïe, les minorités sexuelles LGBTI.)
Demander à quelqu’un de renoncer à son homosexualité, parce qu’il n’arrive pas à mener une vie de couple équilibré est aussi absurde que d’exiger d’un mari violent de renoncer à son hétérosexualité. La solution n’est pas à chercher dans le renoncement, mais dans la thérapie de couple ou le conseil conjugal, pourquoi pas dans la prière pour la guérison de la relation à l’autre. Souvent la relation défaillante à l’autre est aussi le symptôme d’une relation défaillante à l’Autre, c'est-à-dire Dieu. Guérir cette relation avec Dieu aidera à guérir nos relations avec les autres.
En tout état de cause, ce n’est pas l’orientation affective en elle-même qui saurait être mise en question ! Dire comme le fait Boucomont dans le texte que tu cites : L’homosexualité est mortifère car elle prive de cette libération de nos incomplétudes qu’offre l’union à la personne de l’autre sexe … est de la pure idéologie, comme si l’autre quel qu’il soit n’offrait pas déjà une complétude à nos incomplétudes. (De toute façon, chercher dans la relation de couple à être complété entièrement serait de l’idolâtrie et vouerait le couple à l’échec, puisqu’on y surinvestit le partenaire.)
Pour toutes ces raisons et pour celles déjà exposées dans les 95 thèses, je ne peux que maintenir mon soutien à toute solution qui permet aux familles de même sexe d’être reconnues socialement et légalement, au même point que les autres familles. Pour toutes ces raisons, je ne peux que maintenir que les couples engagés (quels qu’ils soient) dans ce défi de l’alter-égal-ité peuvent prétendre à bénéficier d’une bénédiction divine, et qu’une collègue pasteur ayant refait sa vie avec une compagne n’a nulle raison de renoncer à son ministère pour cela.
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