Couples homos : pour une conversion de notre regard (Jürgen Grauling)

11/05/2015 17:05

4 mars 2014, 16:39

 

« Les parties que nous estimons être les moins honorables du corps, nous les entourons d’un plus grand honneur. » (1 Corinthiens 12,23)

 

 

 

Dans le débat autour de la bénédiction des couples de même sexe, je suis effaré du peu de place qu’on donne au vécu des personnes concernées. C’est comme si nous autres chrétiens, bien dans la « norme » (laquelle ?), pouvions-nous arroger le droit de statuer sur leur sort. Implicitement, nombre d’argumentations entendues font comprendre que les personnes homosexuelles seraient plus intrinsèquement « pécheurs » que les autres du fait-même de leur affectivité différente. Bien sûr, vingt siècles (voire plus) d’interprétation biblique n’y sont pas étrangers. Aujourd’hui, n’est-il pas temps de changer profondément notre regard pour redécouvrir, par la même occasion, toute la richesse du message libérateur du christianisme et saisir la chance d’un renouveau pour l’Eglise ?

 

Jean Schwach écrit très justement dans son article* : « Je me demande si cette question de la bénédiction, de prime à bord une question de détail par rapport aux questions fondamentales du salut et du sens de la mort et de la résurrection du Christ, n’est pas finalement une porte ouverte pour un profond renouveau et changement de mentalité dans notre Eglise. »

 

Je partage son intuition que l’adoption – après mure réflexion et discussion – d’un rite de bénédiction pour les couples de même sexe peut devenir bénédiction pour l’Eglise, elle-même (cf. Genèse 12). Non qu’un tel rite soit essentiel pour la foi : il s’agit effectivement d’un « détail », tout comme la bénédiction nuptiale en général.

 

Mais une telle ouverture en dirait long sur trois niveaux – la réaffirmation du sens profond du mot « péché » comme relation défaillante,  la foi en la Grâce dynamique et transformatrice, notamment dans la théologie du mariage, et l’accueil-communion – et mettrait l’Eglise aux prises avec les attitudes attribuées au Christ dans les Evangiles.

 

Le sens du mot « péché »

 

Une bonne partie des opposants à la bénédiction des couples de même sexe met en avant les textes bibliques condamnant « les actes homosexuels » comme « péchés ». Passons rapidement sur les textes du Premier Testament où il s’agit ou bien de non-respect de l’hospitalité et de l’altérité de l’étranger (Genèse 19 et Juges 19) ou de la préservation d’un modèle patriarcal basée sur l’honneur et la procréation (Lévitique 18 et 20). Dans le Nouveau Testament, nous les trouvons essentiellement nommés dans des catalogues de vices, destinés à démontrer les errances qu’encourt un monde sans Dieu. Ces vices étaient vus de l’intérieur d’une communauté qui n’y était pas ou plus confrontée et qui n’avait donc pas particulièrement besoin de s’en préoccuper.

 

Ainsi, le mot « péché » ne désigne des actes et des comportements particuliers que dans la mesure où ils sont l’expression d’un « péché » plus profond : le fait d’une relation défaillante avec Dieu et/ou son prochain. Or, qu’est-ce qui nous permet aujourd’hui de douter de la sincérité de la foi de nombre de croyants homosexuels (et bi- et transsexuels) ? En quoi leur sexualité et leurs vies de couples constituent-elles en tant que telles un obstacle à leur rencontre sincère avec Dieu et leurs prochains ? La question de la sexualité se pose de manière intime : en quoi ma pratique sexuelle respecte-t-elle le partenaire et ma propre personne ? Il n’est plus possible de charger unilatéralement l’homosexualité et d’exempter l’hétérosexualité. C’est plutôt au niveau de la relation juste ou déséquilibrée à l’autre que se situe la question de la « sainteté » ou du « péché », pour employer ces vieux termes.

 

Si nous voulons que notre langage théologique ait encore une pertinence, il faut que les termes que nous employons soient en prise avec le vécu et non déconnectés de la réalité. Le fait d’extraire des normes intemporelles, à travers quelques rares versets, sans interroger le sens profond des textes bibliques, rend le message du christianisme inaudible pour nombre de nos contemporains. Cela ne signifie pas pour autant que nous devrions coller à un « modernisme » effréné et être à la remorque de toutes les évolutions de la société. Parce qu’ouverts aux changements, nous pouvons au contraire renvoyer constamment au Sens et questionner la pertinence de ceux-ci.

 

Foi en la grâce transformatrice

 

Ceci m’amène au second point.

 

Pendant les mois de discussion de la loi du « mariage pour tous », les opposants ont dénoncé une agression aux valeurs chrétiennes et/ou religieuses en général. Chez les personnes opposées à l’instauration d’une bénédiction pour les couples de même sexe, on note également une tendance à sacraliser le mariage hétérosexuel monogame (qui, rappelons-le, n’est pas un sacrement dans le protestantisme), en absolutisant la procréation et l’éducation des enfants comme fonctions essentielles du couple (l’entraide, la joie partagée, la fidélité passant au second plan) et en se focalisant sur une complémentarité uniquement sexuée. On dénie toute similitude au couple de même sexe : il serait stérile de nature et l’assemblage du même. Que ces couples vivent les mêmes défis que les autres est souvent volontairement ignoré : pourtant leur vivre ensemble est constitué pareillement de joies et de peines, de l’évolution du sentiment amoureux, d’un projet commun, de disputes et de réconciliations, du vieillir ensemble et parfois de l’éducation d’enfants.

 

Or qu’est-ce qui fait la valeur de la vie de couple dans le protestantisme ? Le couple n’y est-il pas dans le meilleur des cas considéré comme cellule ecclésiale de base : Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis parmi eux (Matthieu 18/20) ? Autre impératif éthique : le double commandement d’amour qui met la relation avec Dieu au premier rang et l’autre différent au même que nous-mêmes. Le couple, dans sa volonté d’entraide et de fidélité, est ainsi appelé à devenir le lieu privilégié de mise en pratique de cette « alter-égalité », cet amour « agapè » qui refuse la fusion autant que l’exploitation du partenaire (et des enfants !).

 

Avons-nous suffisamment foi en la grâce de Dieu invoquée lors des bénédictions nuptiales ? La tenons-nous capable d’opérer une telle transformation du sentiment amoureux chez les partenaires, qu’ils soient de sexe opposé ou non ? Devrions-nous dénier cette possibilité chez les personnes homosexuelles ?

 

La communion qui met à l’honneur le « moins honorable » 

 

Enfin, l’accueil des couples homosexuels relève d’une compréhension plus inclusive de la communauté chrétienne. La communion telle qu’elle est conçue dans 1 Corinthiens 12 invite à inclure toutes les composantes chrétiennes dans le même corps social. Pour le bien général, il serait même nécessaire de faire des efforts particuliers pour intégrer les parties « les moins honorables ».

 

Je ne sous-entends pas que, de mon point de vue, les personnes LGBT seraient moins honorables que les autres. Il s’agit plutôt de rappeler la discrimination dont ils ont fait objet dans l’Eglise et la société. Mettre à l’honneur les couples de même sexe en leur donnant une place à côté des couples « classiques » donnerait un signe fort pour montrer à toutes les minorités que l’Eglise est non seulement ouverte pour les personnes traditionnellement mises à part (étrangers, enfants, dans le passé les femmes, les personnes handicapées), mais qu’elle s’en soucie véritablement, sans jugement. Elle respecterait ainsi son prochain dans son altérité profonde, sans vouloir le réduire à l’idée que nous avons de lui. Le corps du Christ n’en pourra qu’être enrichi.

 

J’ai commencé par une citation de Jean Schwach, laissons-le aussi conclure :

 

« Oui, accepter la bénédiction officiellement d’un couple de personnes de même sexe demande un changement de mentalité, une conversion assez profonde des personnes qui aura des répercussions dans bien d’autres domaines. Je parle de répercussions spirituelles, dans le sens d’ouverture, oui, d’ouverture à Dieu, de libération de carcans dans lesquels nous sommes encore si souvent prisonniers (les principes, la tradition), d’air frais (et pourquoi pas d’Esprit saint) qui pourrait en jaillir sur nos communautés. Pourquoi ne pas y voir une chance, ou plus exactement une « GRÂCE » ? Nos Eglises sont quasi vides. Quel témoignage voulons-nous donner au monde ? Accepter de bénir des couples de même sexe, n’est-ce pas aussi dire au monde que le Christ s’intéresse à chacun et que chacun aussi différent et spécifique soit-il a sa place auprès de Dieu ? Non seulement le dire (ce qu’elle sait si bien faire), mais le signifier et le vivre (là elle a parfois plus de mal). »

 

 

 

Jürgen Grauling, pasteur à Sélestat

 

 

* Jean Schwach, « Le document UEPAL laisse une insatisfaction en moi », https://www.facebook.com/notes/uepal-en-d%C3%A9bat-b%C3%A9n%C3%A9diction-de-couples-mari%C3%A9s-de-m%C3%AAme-sexe/le-document-pr%C3%A9paratoire-uepal-laisse-une-insatisfaction-en-moi-de-jean-schwach/588889204531149

 

 

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