Lettre ouverte au président de l'UEPAL

10/06/2015 14:15

Monsieur le président,

 

dans votre éditorial pour Info CP du mois de juin 2015, notre organe de communication officiel, vous revenez sur la décision du synode national de l’EPUdF du 17 mai 2015 d’ouvrir la possibilité de procéder à des bénédictions de couples mariés de même sexe.

Vous semblez y regretter une absence de réflexion théologique et biblique pendant le synode, et une démarche purement pastorale prenant en compte, par un geste public – sous-entendu critiquable, « la demande d’accompagnement souvent très personnelle et intime » des couples mariés de même sexe. Ensuite, vous questionnez le choix du synode national d’admettre deux options contraires des pasteurs et des paroisses, qui pourront bénir ou refuser de le faire. Enfin, vous déplorez les ruptures de communion qu’entraîne cette décision et citez comme exemple la réaction – par ailleurs violente – du CNEF.

Permettez-moi de réagir face à cette critique, à peine voilée,  du synode national. A mes yeux, elle traduit une réserve très personnelle de votre part vis-à-vis des bénédictions des couples de même sexe. Cette réserve, vous l’avez déjà très clairement exprimée lors de votre rapport moral fait à l’Assemblée de l’Union de juin 2014, par lequel vous avez tenté d’orienter un débat qui se voulait pourtant ouvert.

 

1. En ce qui concerne le premier point, le manque de réflexion théologique et biblique et la mise en avant de considérations pastorales. Vous n’êtes certainement pas sans savoir, M. le président, que des réflexions intenses avaient eu lieu, en amont de la décision, au sein de l’EPUdF par la publication (fin janvier 2014) d’un double-cahier préparatoire « Bénir ! », fruit d’une commission ERF ayant travaillé pendant plusieurs années, par la prise de connaissance du document préparatoire concomitant de l’UEPAL, par des consultations larges en synodes locaux et régionaux, et enfin par l’accompagnement par des sites Internet pour (UEPAL en débat, benissons.fr) et contre (benediction.info). Rarement, on aura vu un sujet de synode préparé avec autant de soin et de passion ! Si les questions bibliques et théologiques n’ont pas été traitées de manière explicite au courant du synode national, soyez assuré que les enjeux en étaient dans toutes les têtes.

Il y a justement deux lectures bibliques différentes :

  • celle qui se réfère à des versets précis prétendant en tirer la volonté divine qui condamne tout acte homosexuel et donc ne pourra pas cautionner de bénédiction des couples de même sexe ;
  •  et puis celle qui prétend lire les textes bibliques à partir du Christ et du Sola Gratia. Cette dernière peut amener des théologiens protestants à envisager un geste public en faveur de couples de même sexe, engagés dans une authentique démarche d’entraide, d’amour et de fidélité. C’est la même herméneutique qui a présidé à la décision du protestantisme luthéro-réformé de permettre des bénédictions nuptiales pour des divorcés remariés, alors que l’on pourrait y opposer des paroles sans ambiguïté du Christ lui-même. Personnellement, j’ai hâte que la Communion de Leuenberg affirme clairement une telle compréhension du Sola Scriptura !

 

2. Vous évoquez le refus du synode EPUdF de trancher entre pro- et anti-bénédiction et la décision implicite d’accréditer deux attitudes contradictoires vis-à-vis des couples mariés de même sexe. J’ai tendance à le regretter également, pas tant à cause des tensions intra-paroissiales qu’elle peut entraîner, mais parce qu’elle laisse les personnes LGBT dans le flou vis-à-vis d’une Eglise qui leur fait un geste d’ouverture, tout en ne l’assumant pas. J’aurais préféré la solution que vous citez : une affirmation sans ambiguïtés des bénédictions avec une clause de conscience exceptionnelle pour les pasteurs et paroisses qui s’y refusent.

Cependant, la résolution adoptée n’est que l’autre versant de la position tenue par l’UEPAL en 2014 qui, elle, a adopté la renonciation temporaire à trancher entre deux positions, considérant ainsi qu’une question complexe nécessite un approfondissement. L’UEPAL a instauré un moratoire, l’EPUdF décide d’autoriser celles et ceux qui y voient une attitude juste de bénir ; dans les deux cas on accepte et on respecte, d’une manière ou d’une autre, l’expression de convictions doctrinales opposées. Dans un article d’un ouvrage à paraître chez Labor&Fides, j’appelle cela le « modèle de décohérence » qui permet une réforme perpétuelle pacifique des Eglises de la Réforme.

Quant à l’UEPAL, elle ne pourra pas indéfiniment reporter sa décision, sous peine de donner raison, implicitement, aux opposants à la bénédiction des couples mariés de même sexe.

 

3. Pour les ruptures de communion de la part du CNEF et du patriarcat de Moscou, c’est effectivement regrettable. Mais les Eglises Luthéro-Réformées n’ont pas à sacrifier ou à mettre sous le boisseau leurs convictions évangéliques, par peur de heurter d’autres Eglises. Margot Käßmann, à la pastorale générale du 18 mai, ne nous a-t-elle pas invités à être fiers du ministère pastoral féminin ? Il nous sépare, pourtant, de bien d’autres Eglises. Et le mépris de la Fraternité Pie X, par exemple, n’a pas à nous atteindre, à ce sujet.

En ce qui me concerne, je prétends que nous pourrons également être fiers du travail d’inclusivité croissante que nous sommes en train d’effectuer en faveur de l’intégration des personnes et des couples LGBT !

Désormais, la question qui se pose à l’UEPAL est quelle communion sera privilégiée par elle : un vague lien avec le CNEF, qui s’est toujours situé en opposition à la FPF, ou un partage de convictions avec les autres Eglises de la Communion de Leuenberg ? Rappelons qu’au jour d’aujourd’hui, toutes les Eglises Luthéro-Réfomées voisines, du pays de Bade à la « France de l’Intérieur », de Bâle et du canton de Vaud jusqu’au Luxembourg autorisent un accueil plus favorable aux personnes LGBT et aux couples de même sexe que l’UEPAL !

 

En conclusion :

Monsieur le président, je suis au regret de vous dire que votre réaction timorée à la décision de l’EPUdF me peine. J’aurais espéré, et j’espère toujours, qu’en réaction à la résolution de notre Eglise-sœur, l’UEPAL aménage activement le calendrier qui nous mène vers 2018 (ce qui, au demeurant, fera quatre ans au lieu des trois annoncés en juin 2014) et vers une nouvelle décision de l’Assemblée de l’Union. Ne devrait-elle pas programmer des conférences qui essaient de comprendre l’homophobie ecclésiale (ou soutenir officiellement celles qui sont organisées localement comme samedi 13 juin à Saint-Guillaume), instituer une commission « nouvelles familles » en y associant des représentants des personnes LGBT, une autre réfléchissant aux implications éthiques de nos lectures bibliques, en relisant Bonhoeffer, Ellul et André Dumas, reconsidérer le principe du magnus consensus qui risquera de bloquer une nouvelle fois la future Assemblée de l’Union ou, au moins, la manière dont il a été présenté en 2014 ?

Ces quelques questions pour relancer un débat qui paraît être resté au point mort, depuis un an, et qui ne devra pas le rester pendant les années à venir !

 

Je vous prie de recevoir, Monsieur le président, l’expression de mes sentiments respectueux,

 

Jürgen Grauling, pasteur

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