Mes raisons de participer aux 95 thèses pour l'accueil inconditionnel des minorités sexuelles (Jürgen Grauling)
11/05/2015 20:19Auteur
# 16/11/2012 à 11h23 Jürgen Grauling
A mes ami(e)s et aux membres de ma famille et de la paroisse !
J’entends déjà dire certains parmi vous concernant les 95 thèses* que j’ai coécrites et –signées – et vous n’aurez pas tort : Qu’avait-il besoin de s’exposer comme cela ? Personne, apparemment, dans son entourage proche n’est concerné par la question de l’homosexualité. Aucun homosexuel, apparemment, ne fréquente la paroisse. Il n’y avait donc aucune raison de se mettre dans cette galère-là, à moins qu’il soit socialiste et veuille défendre leur projet de loi …
Je vous entends dire – et vous n’aurez pas tort : Il devait donc savoir que ce sujet-là plus que d’autres est brûlant et divise les esprits pour des raisons politiques, bibliques, sociétales, familiales mais aussi beaucoup plus intimes, parfois secrètement honteuses.
Je vous entends dire – et vous n’aurez pas tort : Il y a donc des sujets autrement plus importants à traiter, des combats autrement plus dignes d’engagement. Et chacun irait de sa proposition : la précarité, la défense des demandeurs d’asile, la persécution des chrétiens dans le monde, l’égalité hommes-femmes, le handicap …
Je suis conscient de tout cela. Et non, je ne suis ni socialiste ni homosexuel, concrètement.
Seulement voilà, j’ai actuellement l’impression et je peux me tromper qu’aucune autre minorité dans notre pays, surtout dans nos églises, souffre autant de discrimination a priori.
Les entorses à l’égalité hommes-femmes sont le fait d’une misogynie bête et méchante, dans l’immigration on discute du degré d’accueil que nous devons avoir, et le racisme et le manque de tolérance vis-à-vis des autres religions ne peuvent plus guère se réclamer d’une quelconque valeur universelle ...
Pour les minorités sexuelles, c’est différent : l’accueil des individus en faisant partie ne pose pas vraiment problème. Mais souvent, on leur dit : Votre particularité sexuelle, en tant que telle, n’est pas acceptable, pour des raisons psychologiques, anthropologiques, biologiques ou bibliques. Cette particularité est anormale et doit être mise à part !
Imaginez un instant la violence que ce genre de discours peut avoir sur les personnes concernées ! Cette particularité importante pour chaque être humain (l’orientation affective et sexuelle) qui fait intrinsèquement partie de mon identité et de ma personnalité, cette particularité que je n’ai pas choisie mais qui s’est présentée à moi au courant de mon histoire personnelle, cette particularité dont je ne peux me défaire, elle est jugée (par la religion, la psychanalyse - ou plutôt l'usage qui est fait de l'une et de l'autre dans le débat public - et tous ceux qui sont sensés savoir et peuvent de ce fait porter un jugement dernier …) comme une erreur de la nature qui ne devrait pas y avoir sa place (mais qu’on tolère parce qu’on est charitable).
Je ne sais pas vous, mais moi, je hurle d’horreur ! Je me sens bafoué, meurtri, blessé à leur place. En analogie à J.F. Kennedy qui s’est exclamé dans le Berlin assiégé de 1963 : « Ick bin ein Berliner » (« Je suis un Berlinois », en dialecte berlinois), je dis pour exprimer ma profonde solidarité avec eux : « Je suis gay, je suis lesbien (sic !), je suis bi-, trans- et intersexuel ! »
J’en ai assez d’entendre certains chrétiens dire : la Parole de Dieu dit, deux points, ouvrez les guillemets et de citer toutes sortes de versets bibliques de Sodome et Gomorrhe à Romains 1 en passant par Lévitique 18 et 20 … Et puis, le pire : fermez les guillemets, fermez le ban, fin de la discussion, amen, alleluia, Dieu est contre ta particularité, ou tu changes, tu vis dans le célibat, tu suis un stage de « guérison » pour mettre tes polarités à plomb ou tu brûleras en enfer !
Nous lisons la même Bible, mais nous n’entendons pas la même Parole de Dieu. Moi, ma Parole de Dieu me parle de Son amour manifesté à travers les témoins humains de la Bible, et surtout Jésus-Christ, Parole de Dieu devenue chair. La Parole tout autre de Dieu s'est confiée à des êtres humains, s'est incarnée, a accepté la fragilité, s'est défaite de son absolu pour entrer dans la finitude d'un contexte humain, culturel, langagier. Ne pas accepter cette contextualité, cette fragilité est trahir la Parole de Dieu.
La clef de lecture pour nous, protestants depuis la Réforme, c'est le salut en Christ par pure grâce au moyen de la foi. Je sais que c'est très inconfortable : cela nous demande de discerner à chaque instant ..., de sortir d'un système de littéralité (apparemment !!!) bien rôdé et infaillible, de sortir de nos certitudes qui ne sont souvent que des préjugés.
J’en avais aussi assez d’entendre les représentants des Eglises se retrancher dans un conservatisme bienséant et politiquement correct. Je n’attendais pas autre chose de la part de l’Eglise catholique romaine ou des églises « libres ». Mais voir cette tendance se manifester dans les Eglises luthériennes et réformées qui me semblent les seules à même actuellement à faire résonner une voix d’ouverture, c’en était trop.
C’est pour cela que l’idée de faire 95 thèses avec trois complices, Joan, Joël et Richard, venait à point nommé. Avec notre texte, nous ne prétendons pas clore le débat, nous voudrions au contraire le rendre possible, nous voudrions montrer qu’il est même nécessaire de sortir de l’omerta dans nos paroisses et de cheminer par rapport à une question qui dérange, qui nous remue dans nos tripes. Mais qui ne doit pas être négligée sous peine de mettre l’Evangile sous le boisseau !
Sélestat, le 16 novembre 2012
Jürgen Grauling
* 95 thèses : https://www.christianismesocial.org/spip.php?article268
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