Pétition Laiblé : Sur la forme et sur le fond, nous disons non (collectif)
11/05/2015 17:11
Réaction à la pétition : « Pourquoi nous disons NON ! »,
de la part du groupe à l’origine du Manifeste pour un débat serein*.
Plagiats, résultats scientifiques tronqués, culpabilisation et incitation à la discrimination des personnes homosexuelles et de leurs familles, compréhension pour le moins contestable de la guérison spirituelle, du péché et du principe réformateur du Sola Scriptura…
Sur la forme et sur le fond, nous disons non à la pétition de B. Laiblé.
Non, l’homosexualité n’est pas une maladie et encourager des thérapies pour changer d’orientation sexuelle est dangereux. Non, l’homosexualité n’est pas un péché à stigmatiser, de même ni les parents d’enfants homosexuels ni ces derniers ne sont coupables et oui, la Bible est aussi notre norme normante, non pas pour condamner mais pour accueillir !
Et nous nous en expliquons !
L’homosexualité, une maladie à guérir ?
Un amalgame entre science et spiritualité
Nous réfutons l’idée selon laquelle l’homosexualité serait une maladie à guérir. Les arguments qui sont avancés dans ce sens ne sont pas convaincants. En effet, les psychiatres, neurologues et autres thérapeutes auxquels il est fait référence, sont reconnus comme chrétiens provenant d’un même courant piétiste/fondamentaliste américain qui a comme a priori obligé que l’homosexualité est un péché et qu’elle est unilatéralement condamnée par la Bible. Toute leur argumentation part de là pour finalement y revenir, et est donc circulaire.
La recherche sur l’homosexualité, longtemps à tâtons, avance
Face à une réprobation monothéiste millénaire des sexualités hors mariage et hors procréation, les sciences ont mis du temps pour se saisir de cette question. Ce n’est qu’au XIXe siècle que la médecine en plein essor s’en empare. L’homosexualité passe alors par différentes phases de compréhension : Richard von Krafft-Ebing, en 1886, intègre l’homosexualité à la théorie de la dégénérescence, une maladie mentale qui se transmettrait de façon héréditaire. Elle serait donc acquise dès la naissance. Plus tard, Freud rejetant cette théorie, affirme que toute sexualité s’acquiert, donc l’homosexualité aussi. Pour lui, si l’homosexualité n’est pas une maladie, elle n’est pas pour autant un comportement sexuel « normal ». Par la suite, les courants s’opposent entre les pro- et les anti-psychiatrisation de l’homosexualité. Dans les années 1960-1970, les psychiatres états-uniens, cibles de nombreuses critiques, sont poussés à redéfinir de manière plus rigoureuse leurs diagnostics en établissant une classification des maladies mentales (DSM). Ainsi, en 1973, le terme homosexualité est retiré de cette classification américaine, à l’issue d’un scrutin réunissant plus de 10 000 psychiatres qui ont voté à 58% de voix pour et 37% de voix contre.
En France, les psychiatres se référaient à la Classification Internationale des Maladies (CIM) de l’OMS qui a cessé de considérer l’homosexualité comme diagnostic en tant que maladie mentale en 1992.
Des études actuelles tendent à démontrer qu’il y a une large composante biologique (congénitale, endocrinienne, peut-être génétique) à l’origine de l’homo-, des bi- et de l’hétérosexualité.
Ce n’est pas la personne mais le contexte qui est pathogène
La science n’a à ce jour pas éclairci toute la réalité et l’origine de l’homosexualité. Toujours est-il que les personnes homosexuelles qui ont pu cheminer dans l’acceptation de leur sexualité, souvent à contre-courantde leur environnement, la vivent comme une réalité profonde et essentielle de leur être. Que ce soit une sexualité acquise à un âge précoce ou innée ne change strictement rien pour eux.
Contrairement au « Manifeste du NON », nous affirmons que si des homosexuels se sentent mal dans leur peau, si les jeunes homosexuels se suicident beaucoup plus que les autres, c’est d’abord et essentiellement à cause de tout ce contexte d’homophobie dont nous avons hérité depuis des siècles. Ce contexte est encore présent et s’exprime parfois à travers des prises de position tranchées et blessantes comme celle de la pétition à laquelle nous répondons.
Dire alors que « l’homosexualité est le problème d’une croissance entravée de la personnalité, autrement dit, une crise d’identité » (B. Laiblé) est une déformation néfaste de la réalité. En effet, comment un jeune homosexuel pourrait-il échapper à une profonde crise d’identité dans un milieu si hostile qui le considère dans ce qu’il a de plus intime, tout à la fois comme un malade et un pécheur (et beaucoup plus pécheur que tous les autres) ?
Nié ou condamné par les autres dans ce qu’il est, ce jeune oscillera entre le désespoir, l’auto-censure, le refoulement (et Freud a bien mis en évidence les méfaits désastreux du refoulement sur l’évolution de la personnalité) ou au contraire l’affirmation visible de qui il est. Les bien-pensants n’y verront alors que du mal-être ou une affirmation excessive de cette identité.
Des thérapies américaines bien problématiques
Les références des psy et auteurs concernant la « guérison » des homosexuels cités par B. Laiblé sont américaines. Qu’en est-il en France ? Aucune organisation française n’est citée dans le texte.
Par ailleurs, la plus grande organisation américaine, Exodus International, fondée en 1976, qui proposait des thérapies afin de guérir les homosexuels a mis fin à ses activités en 2013 suite à la décision à l’unanimité de son comité de direction. Alan Chambers, pasteur pentecôtiste et président de l’organisation a présenté des excuses officielles à la communauté gay pour les « traumatismes » dus aux thérapies pratiquées par les membres d’Exodus. Dans une tribune publiée sur le site internet d’Exodus, sobrement intitulée « Je suis désolé », il admet ainsi que son organisation « a beaucoup oeuvré pour le bien, mais elle a aussi fait du mal. Nous avons blessé des gens ». « Sachez que je suis profondément désolé. Je suis désolé pour la douleur et la souffrance que nombre d’entre vous ont connues. Je suis désolé que certains aient passé des années avec la honte et la culpabilité de ne pas voir leur attirance changer ». Par ailleurs, Alan Chambers reconnait que, après tant d’années, lui-même n’a pas été complètement « guéri » de ses attirances homosexuelles.
Des organismes, tels l’APA (Association des psychiatres américains) soulignent clairement la dangerosité des thérapies cherchant à changer l’orientation sexuelle d’une personne.
Sur la notion du « péché », développée par B. Laiblé
Page 7, B. Laiblé nous rappelle à juste titre que le péché n’est pas à comprendre d’abord comme un acte particulier, mais plutôt comme une « orientation de vie » qui « manque sa cible », c’est-à-dire Dieu. Il s’appuie notamment sur « Un catéchisme protestant » d’Antoine Nouis dont il cite des extraits sans y faire référence (Réveil Publication, Lyon, 1997, pages 295 et 300 notamment). Ceci posé, il est d’autant plus surprenant qu’à l’instar d’une certaine tradition néfaste ancienne, B. Laiblé se focalise dès l’introduction du chapitre sur les « péchés sexuels » que l’Eglise n’aurait plus le courage de dénoncer.
Le péché comme relation défaillante
Si le péché désigne avant tout une relation défaillante à Dieu, celle-ci a pour conséquence une relation faussée à soi-même et aux prochains. Cela se manifeste dans tous les domaines, qu’il s’agisse de l’exploitation économique d’êtres humains traités comme des objets ou la tendance de ne satisfaire que ses propres plaisirs et besoins dans la relation à autrui ; même l’abnégation et l’altruisme peuvent être l’expression du péché, si ces « vertus » sont motivées par un manque d’estime de soi-même et la propension à ne se réaliser qu’à travers l’existence d’autrui. Egocentrisme et déni de soi sont les deux conséquences du péché qui se manifeste, selon la théologie classique, sous la forme de l’incroyance (méfiance, désobéissance, déni de Dieu), de « l’orgueil » (hybris) et de la « convoitise » (concupiscentia). Ces manifestations du péché faussent nos relations tant avec autrui qu’avec la création ; en l’absence de relation équilibrée à Dieu, tout est « péché ».
Au contraire, l’humain qui a retrouvé en Dieu son vis-à-vis n’est plus dans le péché. Dans ce cadre, parler de péchés en particulier, de péchés plus grands que d’autres n’a pas vraiment de sens bibliquement parlant. Si certaines épîtres dressent tout de même des listes de vices, c’est que leurs auteurs estiment que ceux-là révèlent plus parfaitement la relation défaillante au Tout-Autre, notamment diverses addictions (« débauche » sexuelle ou alimentaire, « ivrognerie », mensonge maladif etc.).
Rétablissement de la relation
Dans l’absolu, nous abonderions dans le sens de B. Laiblé quand il développe le travail de la prière et de la relation d’aide (page 12). Il s’agit effectivement d’être rétabli dans sa relation avec le Christ, puis avec soi-même et les autres, en passant par la « guérison » de blessures récentes et anciennes.
Le danger de la démarche proposée se situe dans la définition a priori des résultats à obtenir, en décrétant par exemple que l’homosexualité en tant que telle serait une « maladie » de l’âme ou l’expression du péché. Nous soupçonnons d’ailleurs l’auteur d’introduire par la notion d’« attitude de complète dépendance [du Christ] » la possibilité d’un abus spirituel autoritaire sur fond de légalisme biblique, la dépendance du Christ se confondant parfois avec dépendance du directeur spirituel. En outre, nous décelons ici la conception d’un Christ triomphant au service d’une hypothétique perfection humaine, alors que nous annonçons le Christ vainqueur de nos résistances par la faiblesse de la croix.
Se fonder à ce sujet sur Lytta Basset relève d’une imposture, d’autant plus qu’elle s’est déclarée clairement favorable à l’accueil des couples homosexuels dans l’Eglise, dans un article intitulé « L’évangile subvertit radicalement la notion de norme », dans le livre de Claire Lesegretain, Les chrétiens et l’homosexualité – L’enquête, (Editions Chemins de tr@verse, Paris, 2011, pages 131ss). Ce livre est pourtant connu de B. Laiblé, puisqu’il cite sans guillemets de larges extraits de l’interview de Leanne Payne qui y est reproduit (pages 223ss à comparer à B. Laiblé, pages 2 et 3).
Ethique et sanctification : liberté responsable
Ce qui compte par-dessus tout pour les chrétiens, c’est d’être rétabli dans leur relation avec Dieu (justification par la foi), ensuite le croyant est appelé à ce qu’on pourrait appeler la « liberté responsable », selon le principe de Paul : « Tout m’est permis, mais tout ne convient pas. Tout m’est permis, mais je ne me laisserai asservir par rien. » (1 Corinthiens 6/12, TOB) La responsabilité signifie aussi qu’on évite de scandaliser les plus faibles, en s’abstenant d’une liberté plutôt que de faire chuter le frère heurté par celle-ci (Rom. 14 et 1 Cor. 8).
Antoine Nouis, en matière d’éthique, conclut ainsi (Un catéchisme protestant, pages 381ss) : « Les questions posées à l’Eglise aujourd’hui sont différentes [de celles posées à l’époque de l’apôtre Paul]. Nous pouvons néanmoins nous inspirer de la démarche de l’apôtre pour nous aider à inventer les réponses que l’Evangile nous invite à y apporter. En face d’un questionnement éthique, trois critères sont à respecter : l’amour, le respect des « petits » et la reconnaissance. »
En ce qui concerne le couple homosexuel responsable, engagé dans la fidélité et l’entraide, aucun des trois n’est enfreint.
Culpabilisation
La loi entre chemin de liberté et finalité en soi
Le message central de l’Ancien Testament réside dans le passage de l’esclavage à la liberté. Le Dieu d’Israël, Dieu de Jésus-Christ, libère son peuple de la servitude en Egypte et balise son chemin vers la liberté de lois ; il offre ainsi au peuple d’Israël des moyens, des indicateurs, pour lui permettre de vivre concrètement cette liberté à l’époque et dans le contexte qui sont les siens.
Au premier siècle, l’institution religieuse principalement représentée par les pharisiens ne se préoccupe plus tant de la liberté que des lois et jurisprudences qui se sont multipliées au fil du temps. Ces dernières sont devenues des finalités. L’humain n’est plus appelé à cheminer, mais à se conformer. La culpabilisation prend le pas sur la libération.
C’est dans ce contexte que Jésus, visage de Dieu dans le monde, rappelle à l’essentiel : « Le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat ». Dieu ne reconnaît pas l’humain en fonction de ses performances morales, mais en fonction de son amour.
L’histoire du judaïsme du premier siècle n’a somme toute rien d’exceptionnel. Quand bien même la finalité de la religion est de relier l’humain et le divin pour permettre à l’humain de découvrir la liberté et la paix intérieures, elle peut se muer en dictature morale où des principes sont érigés en finalités et où l’humain passe au second plan.
Culpabilisation : névrose de la foi
Le pharisaïsme ne représente pas seulement le courant dominant du judaïsme du 1er siècle, mais encore l’illustration de l’une des névroses religieuses des plus complexes, où des personnes bien pensantes, confondant Dieu et Pharaon, déploient en toute bonne foi un attirail de moyens de culpabilisation pour empêcher d’autres de vivre Pâques : le passage de l’esclavage à la liberté, de la mort à la vie. Ne s’agit-il pas là précisément de ce que la Bible qualifie de « péché » ? C’est-à-dire, ce qui résiste à la vie même de Dieu en nous, autour de nous et pour les autres ? Dès lors, la culpabilisation constitue l’un des symptômes de cette maladie de la foi et correspond à une antique gnose qui se nourrit d’un dualisme déshumanisant et destructeur.
L’écrit de B. Laiblé constitue un exemple significatif de cette névrose de la foi. En effet, la culpabilisation est son fil rouge, qu’elle s’adresse aux enfants ou aux parents d’ailleurs. « Il n’y a pas d’homosexualité innée. Elle est toujours acquise, à l’âge de l’adolescence ou plus tard ». Autrement dit, la personne homosexuelle – ou ses parents – est en définitive responsable, coupable de cette homosexualité qui se manifeste tôt ou tard. L’auteur confirme cette conviction plus loin : « la pratique homosexuelle est également de l’ordre du péché, comme nous allons le voir, et par conséquent, de l’ordre de la culpabilité ». Or, nous avons déjà vu plus haut, que de plus en plus d’indicateurs démontrent une large part innée dans la survenue de l’homosexualité.
Un Evangile qui libère
Quant à nous, nous annonçons un Evangile qui libère, un Dieu qui fait passer de l’esclavage à la liberté, du néant à l’être, de la mort à la vie… un Dieu qui permet à chaque personne de vivre pleinement, au-delà des forces de mort qui peuvent chercher à l’assaillir au quotidien, qu’il s’agisse du regard inquisiteur porté sur son être ou des assauts mortifères d’une morale bien-pensante et culpabilisante. Car la gloire de Dieu, c’est l’humain debout.
Nous annonçons un Evangile qui suscite la vie plutôt que la culpabilité, dans la conviction que nous pouvons tous faire nôtre cette parole que le Seigneur a inspiré à l’apôtre Paul lorsque celui-ci parle de la résurrection : « Ce que je suis, je le dois à la grâce de Dieu, et sa grâce à mon égard n’a pas été vaine.» (1 Cor. 15, 10).
Last, but not least : Sola scriptura
Pour terminer, saluons au moins ce qui semble être un accord : la compréhension du rôle et du statut de la Bible est centrale dans notre débat. L’auteur du manifeste se réfère avec force au sola scriptura, en oubliant que la Lettre tue, là où l’Esprit vivifie ! Le sola scriptura ne stipule pas que la Bible est l’unique norme de la foi, mais qu’elle en est la norme ultime. Pour Luther par exemple, la Bible n’est pas la révélation : elle en est le médiateur et il appelle à une lecture « sélective » en fonction de ce qui « véhicule le Christ » (« was Christum treibet »). Calvin, de son côté, insistera toujours sur le contexte d’énonciation des textes bibliques. Qu’est-ce qui véhicule mieux le Christ aujourd’hui dans nos débats ? Ceux qui stigmatisent une population, ou ceux qui luttent contre les discriminations ? Et qui comprend le mieux le contexte d’énonciation ?
Ce que veut dire le sola scriptura est simplement que toute autre norme religieuse doit être inféodée à la lecture de la Bible. La théologie protestante fait la distinction entre les normes normées (premiers conciles, confessions de foi,…) et la seule norme normante (la Bible). Sans autre norme que la Bible, l’Église ne pourrait pas professer la Trinité par exemple, qui n’y est pas décrite telle quelle. La lecture chrétienne et confessante de la Bible ne saurait par conséquent, sous peine de conduire à l’hérésie, refuser l’apport de données extérieures ; bien au contraire, elle est interprétation à la lumière de la foi (faisons confiance à l’Esprit) et de la raison (et donc des sciences, et notamment de la psychologie !). Sans cela, et nous l’affirmons à nouveau avec force, la Bible deviendrait lettre morte, lettre qui tue (pensons au ministère pastoral féminin, à l’esclavagisme, à l’apartheid et à toutes les injustices justifiées par un certain usage de la Bible.)
Avant d’appeler à la rescousse des dogmes aussi importants que le sola scriptura, il faut bien les comprendre. Intenter des procès en hérésie est facile ; les gagner l’est beaucoup moins. La Bible est norme de la foi et est un texte inspiré. Mais comme toute chose humaine – car ce sont des hommes qui l’ont rédigée (c’est-à-dire ont traduit en mots humains la Parole divine, par essence indicible), transmise et traduite – elle est imparfaite : ne faisons pas du sola scriptura un appel à l’idolâtrie ! Car c’est Jésus mort et ressuscité que nous confessons et annonçons, Jésus le Christ qui console, qui guérit et qui libère, loin de tous nos jugements d’humains imparfaits.
N’oublions pas que nous serons jugés à l’aune de nos propres jugements… et accueillons nos frères et soeurs LGBTI avec amour et humilité, comme nous avons été accueillis.
Rédacteurs : Jean Schwach, Christophe Kocher, Emmanuel Wald, Jürgen Grauling, Ulrike Richard Molard, Gwenaelle Brixius, Joan Sancho Charras
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