Synode EPUdF : évacuons la question homosexuelle, une fois pour toutes (Jürgen Grauling)
11/05/2015 17:38Synode EPUdF : évacuons la « question homosexuelle », une fois pour toutes
« L’homosexualité-abomination », ressort caché du débat
Ne nous y trompons pas. Le sujet du prochain synode EPUdF à Sète (14-17 mai 2015) n’est pas la bénédiction des couples de même sexe, tout comme elle ne l’était pas à l’Assemblée de l’UEPAL, l’an passé. Non, le sujet n’est pas la bénédiction tout court non plus !
Le sujet véritable est celui-ci : quel statut faut-il accorder en protestantisme luthéro-réformé à l’homosexualité et aux personnes LGBT ? Si les tensions sont tellement grandes, si les membres et les directions d’Eglises appréhendent tant les débats, c’est que cette thématique pourrit les échanges et révèle les ressorts qui se cachent derrière : l’homophobie inconsciente ou ouverte pour certains, la méconnaissance de l’homosexualité pour beaucoup et enfin le rapport incertain au texte biblique.
Quand je parle du texte biblique, il me faudrait plutôt préciser qu’il s’agit des « versets de terreur » faisant apparaître l’homosexualité comme une « abomination » (Lévitique 19 et 22, par erreur Genèse 19 et certains versets pauliniens).
Les théologiens luthéro-réformés évitent en général la citation de versets bibliques, préférant les interpréter à partir de leur contexte rédactionnel et historique. Toutefois, en ce qui concerne l’homosexualité, une conviction diffuse conclut que « la Bible, tant dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament, condamne l’homosexualité », une conviction largement répandue dans les cercles paroissiaux.
Dès lors, les mots « Sodome et Gomorrhe » et « homosexualité-abomination » ont imposé leur empreinte sur les débats. La place du principe protestant Sola Scriptura est telle qu’il semble à beaucoup jusqu’ici impossible d’invalider la disqualification de principe de l’homosexualité. J’en veux pour preuve le dossier préparatoire de l’UEPAL qui avait accordé une large place aux versets de terreurs, sans vouloir les écarter entièrement.
Bien sûr, plus personne ne songe à lapider les personnes LGBT, même les exclure ne semble plus une option. « L’accueil inconditionnel » est prôné au sein de la CPLR depuis 2004, mais des restrictions sont aussitôt énoncées : non au ministère pastoral paroissial, non à la bénédiction des couples de même sexe …
« L’homosexualité-abomination » a ainsi marqué CPLR 2004 de son empreinte. « L’homosexualité-abomination » plane sur les débats synodaux actuels. Ces derniers montrent que les protagonistes essaient de contourner le sujet qui fâche, i. e. la question homosexuelle. Il y est question de la « bénédiction en général », de la « théologie de la création » ou encore de celle « de l’alliance ». Certains débatteurs développent une théologie haute du mariage, image du Christ et de son Eglise, d’autres (ou parfois les mêmes) plaident pour l’abandon pur et simple des bénédictions nuptiales. Tous donnent l’impression de vouloir « aménager l’homosexualité-abomination », les uns pour justifier une relative discrimination (aimer le pécheur et non le péché), les autres invitant à une plus grande tolérance.
Or, le temps est venu d’abandonner purement et simplement le concept de « l’homosexualité-abomination », et du coup d’évacuer la question homosexuelle de nos débats théologiques. L’homosexualité doit devenir un non-sujet de la théologie.
Tant qu’un consensus sociétal, tant que la médecine, tant que les sciences donnaient du crédit aux versets de terreur, en qualifiant l’homosexualité de « perversion » par exemple, leur maintien pouvait se défendre. Aujourd’hui, nous devons prendre acte de la profonde mutation qu’a effectuée la recherche scientifique concernant la compréhension des orientations sexuelles et affectives. Plusieurs décennies se sont écoulées depuis que l’homosexualité est dépénalisée, que l’OMS l’a retirée du catalogue des pathologies (1992). Le faisceau scientifique pointe une origine multifactorielle de l’orientation sexuelle dès le plus jeune âge, s’imposant à l’individu ; l’échec des « thérapies de conversion sexuelle » est retentissant. La proportion de l’homosexualité dans la population est plus ou moins constante, quelque soit la société ou l’époque historique.
Qu’en est-il du principe du Sola Scriptura alors ? Ce n’est pas la marginalisation de quelques versets qui le remettent en cause. L’homosexualité n’est pas un sujet majeur dans la Bible, ne concerne pas directement la sotériologie (« Was Christum treibet »). Nul besoin de rappeler que le christianisme a éconduit de nombreuses règles (alimentaires, rituelles etc.) de la casuistique du Pentateuque. Même l’usage qui veut que la concordance des deux Testaments sur une question s’impose, n’est pas absolue, comme j’ai tenté de le démontrer avec ma « parabole de l’eczémateux ».*
Si nos théologiens protestants insistent tant sur une interprétation stricte du Sola Scriptura concernant l’homosexualité, nous sommes en droit de leur poser la question, p. ex., pourquoi ils négligent la valeur du « célibat choisi », tant les paroles de l’apôtre Paul que l’état matrimonial du Christ semblent le préférer au mariage ? Le Sola Scriptura est à géométrie variable, et l’interprétation stricte ne semble s’appliquer qu’à de très rares sujets. L’homosexualité en était, mais pourquoi ce deux poids, deux mesures ?
Chers synodaux de l’EPUdF, je prie que vous ayez le courage d’évacuer une fois pour toutes la question homosexuelle. Nul besoin d’avoir une théologie particulière pour les personnes LGBT. Discutons du sens du mariage, de la vie de couple, des vertus de la fidélité conjugale, du ministère pastoral, de la bénédiction, etc. indépendamment de l’orientation sexuelle qui n’y change rien, au fond.
Une dernière chose :
Certains se souviennent que j’ai plaidé pour un moratoire il y a dix mois, lors de la décision dans l’UEPAL. Mesurant les tensions, celui-ci m’avait semblé la seule solution à l’époque, notamment parce que la durée du débat avait été très courte concernant un sujet aussi difficile.
Aujourd’hui, la situation est différente. L’EPUdF a laissé une plus grande place au débat et peut déjà bénéficier de l’expérience de l’UEPAL. Bien que n’en étant pas membre, il me semble le synode est mûr pour prendre une décision qui fait évoluer le statu quo. Je plaide aujourd’hui pour l’ouverture des bénédictions nuptiales aux couples de même sexe et, à terme, pour l’abandon de toute discrimination, négative ou positive, des personnes LGBT au sein de nos Eglises.
Jürgen Grauling, Sélestat
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